Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le Monde de Djayesse

Le Monde de Djayesse

Un peu de tout : du cinéma (beaucoup), de l'actu (un peu) et toute cette sorte de choses [A bit of everythying: cinema (a lot), news (a little) and all this kind of things]

Publié le par Djayesse
Publié dans : #Cinéma, #François Ozon, #Drame
Grâce à Dieu (François Ozon, 2018)

Ce titre, c’est une partie d’une intervention du cardinal Barbarin (François Marthouret) : « les faits sont prescrits, grâce à Dieu. »

Cette phrase arrive tard dans le film, mais elle résume très bien la position de l’Eglise et en particulier celle du diocèse.

 

Ca commence doucement, c’est Alexandre Guérin  (Melvil Poupaud) qui nous lit un courrier qu’il a envoyé au diocèse à propos d’un souvenir qui lui est revenu en mémoire : enfant, il fut agressé sexuellement par le père Preynat (Bernard Verley) pendant les activités des scouts.

On va alors suivre le cheminement des conséquences de cette lettre : la part qu’y a jouée l’Eglise dans le traitement de l’affaire, ne pouvant pas rester passive face à ce qui ressemblait de près où de loin à un scandale annoncé.

Mais malgré ces premières démarches, la machine se met en branle et l’issue est inéluctable : à l’heure où j’écris, le cardinal Barbarin a été condamné.

 

François Ozon (1) réalise ici un film courageux, mais surtout d’une précision magnifique, et d’une grande habileté : tout ça s’appelle le talent. Il s’agit d’un film qui rejoint le domaine docu-fiction avec une rigueur terrible, sans toutefois oublier que nous sommes au cinéma. C’est vrai que nous sommes en général au cinéma pour nous distraire, mais de temps en temps, il est bon que le cinéma nous ramène à la réalité.

Nous restons alors toujours très près des différentes victimes, pendant que s’égrènent les paroles des différents protagonistes. Ce sont des reconstitutions, certes, mais sans pour autant tomber dans le reportage. Une sorte de film épistolaire. Et de temps en temps, le passé rattrape le spectateur et nous voyons ces enfants qui vont retrouver le jeune prêtre (Yves-Maie Bastien) pour une séance privée. C’est la solitude de l’enfant qui transparaît le plus, ainsi que cette attitude « normale » du prêtre qui va « opérer » sur sa victime.

Et François Ozon réussit à montrer tout cela magnifiquement (2).


Dès l’ouverture nous sommes prévenus : le film est inspiré d’une histoire vraie. C’est presque ça : ce sont des histoires vraies. Celles de ces adultes qui furent des enfants, et qui un jour ont cessé de l’être pour devenir des victimes.

Le film tombe alors dans le scabreux. Enfin pas réellement : les expériences qui vont nous être livrées sont effroyables. C’est ça qui est scabreux. La façon dont elles nous sont transmises par contre est absolument juste. Les différents témoignages repoussent toujours plus loin la bassesse et la malfaisance, mais à aucun moment le propos ne devient racoleur ou sensationnel. Ozon réussit à retransmettre le côté humain – ou inhumain, ça dépend des protagonistes – sans jamais tomber dans le pathétique.

 

Alors qu’on est habitué à voir des histoires qui nous montrent des vies qui basculent dans le passé, ici les vies basculent devant nous alors que ressurgit ce passé honteux. Le meilleur exemple est le personnage d’Emmanuel Tomassin (Swann Arlaud). Il suffit d’une coupure de presse mise de côté par sa mère (Josiane Balasko) pour que le passé lui saute à la gorge (3).

C’est un jeune homme paumé, brisé que cette affaire va ramener à la vie.

Parce que le film ne se contente pas de dresser un tableau – sordide – de cette histoire. Il va au-delà du simple reportage en montrant en quoi ces destins brisés vont évoluer et surtout changer. Parce que ces victimes ne sont pas seules. Elles ont une histoire, une famille. Ces souvenirs terribles qui reviennent à la surface ne laissent pas leur entourage indemne. « Ca plombe l’ambiance » entend-on. Mais c’est aussi cet entourage qui replace ces victimes dans la réalité. Certes ce qu’elles ont vécu est affreux (etc.) mais cette mise en lumière de toute cette affaire ne doit pas faire oublier qu’il y a la vie qui continue. Et que les autres membres de leurs familles ont un rapport plus ou moins proche avec ce qu’il s’est passé. Là encore, c’est un troisième personnage qui illustre très bien cela : François Debord (Denis Ménochet), dont les parents avaient alerté le diocèse en son temps. Cette médiatisation qu’il veut et qu’il obtient réveille des souvenirs chez lui mais aussi chez son frère, dont on se rend compte qu’il fut lui aussi abusé. L’épilogue les concernant est un très beau moment d’émotion, autour d’un petit détail : un billet de 10 Euros.
 

Parce que bien sûr l’émotion est présente. Chacun, de par son calvaire attire la sympathie, mais à aucun moment Ozon ne tombe dans le pathos, et les émotions qui ressortent en deviennent encore plus grandes.

Et le travail phénoménal des différents acteurs du film est à la hauteur. C’est juste, c’est subtile, c’est impeccable. A aucun moment on ne voit des acteurs : ce sont les vrais gens qui nous sont montrés, avec leurs différences, leurs caractères, leurs faiblesses. Leur humanité.

 

Et les autres ? Et bien Bernard Verley et surtout François Marthouret sont eux aussi très professionnels. Ce sont des rôles très difficiles parce que très vrais. Et les deux, à leur façon, retranscrivent les manquements d’une institution « au-dessus de tout reproche ». Il y a le « grâce à Dieu » de Barbarin, mais il y a – à mon avis – pire que cela, c’est le « peut-être » de Preynat, quand il reconnaît avoir fait du tort à ceux qui étaient ses victimes.

Je vous laisse apprécier la dernière réplique que fait Alexandre à l’un de ses fils, elle résume elle aussi très bien le cheminement de ces hommes qui furent brisés et qui eurent beaucoup de mal à se reconstruire.

 

Donc, le 7 mars 2019, le cardinal Barbarin a été reconnu coupable.

Le père Preynat lui, par contre, n’a toujours pas été jugé.

 

 

PS : à noter la présence de la grande Hélène Vincent. On ne peut oublier qu’elle a joué dans La Vie est un long fleuve tranquille : la famille Le Quesnoy ressemble beaucoup à celle d’Alexandre, mais ici, on ne rit pas beaucoup.

 

  1. Son nom est une invitation à ce genre de film.
  2. Je suis dithyrambique, oui. Mais que voulez-vous, ce film est magnifique.
  3. « Comme un chat enragé » dit le dicton, et ce chat ici est fortement enragé.
Commenter cet article

Articles récents

Hébergé par Overblog