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Le Monde de Djayesse

Le Monde de Djayesse

Un peu de tout : du cinéma (beaucoup), de l'actu (un peu) et toute cette sorte de choses [A bit of everythying: cinema (a lot), news (a little) and all this kind of things]

Publié le par Djayesse
Publié dans : #Cinéma, #John Ford
Les Raisins de la colère (The Grapes of wrath - John Ford, 1940)

Oklahoma, 1930s.

Tom Joad (Henry Fonda) rentre chez lui, dans sa ferme natale, après quatre ans de prison. En chemin, il rencontre Casey (John Carradine), l’ancien pasteur qui l’a baptisé. Il ne prêche plus : il ne croit plus en rien.

Mais chez les Joad, il ne reste plus personne. Seulement Muley (John Qualen), un autre fermier qui n’a pas voulu partir.

Quand Tom retrouve sa famille, c’est pour repartir. Loin. Vers l’ouest. En Californie.

 

John Ford nous propose ici un road movie extraordinaire. L’exode d’une famille pendant les années 1930s. Bien sûr, on pense au livre éponyme de la Bible, surtout quand l’un des personnages parle de la Californie, au-delà du fleuve Colorado, frontière naturelle avec l’Arizona : ce fleuve est le Jourdain des Joad. Alors il n’est pas étonnant que le patriarche – Grandpa Joad (Charley Grapewin) – ne voie jamais cette nouvelle Terre Promise : Moïse lui-même ne put poser le pied en Palestine.


Alors comme Josué après Moïse, c’est Tom qui prend en main la destinée des Joad, brinquebalés de camps en camps, subsistant tout juste dans une Amérique profonde et pauvre.

On retrouve dans cette fresque dramatique certains éléments du film de Vidor, sorti quelques années plus tôt – Our daily Bread (1) – quand les Joad arrivent enfin dans un lieu accueillant : c’est une sorte de camp communautaire qui est dirigé par les campeurs et pour les campeurs, pour reprendre la devise célèbre de Lincoln (2), un président très apprécié par John Ford. Il n’est donc pas étonnant que ce camp est dirigé par un fonctionnaire de l’Etat.

 

Il y a dans ce film deux prises de position : celle de John Steinbeck qui a écrit le roman, et celle de John Ford – sur un scénario de Nunnally Johnson – qui se placent du côté de Roosevelt (qui sera élu une troisième fois cette même année) contre les riches compagnies qui dépouillent les petits.
C’est Muley qui nous explique comment ça se passe : John Qualen, laissant de côté son aspect étranger qu’on lui connaît et, magnifiquement éclairé, donne toute l’étendue de son talent en homme désespéré, brisé, fini. Il ne sera plus utilisé ainsi dans les autres films de Ford, même si ses rôles sont importants.

Il faut dire que ce film ne pas prise aux réparties humoristiques qu’on connaît de ses autres films. Il faut dire aussi que le sujet ne s’y prête à aucun moment : il s’agit, à mon avis, du film le plus noir de Ford. La fin elle-même n’est pas très réjouissante : Tom ne peut pas rester auprès de sa famille et se lance dans une cavale sans issue, mais nous y reviendrons.

 

Nous sommes chez Ford, alors la famille est là. Paradoxalement, alors que ce film nous dresse le portrait d’une famille de paysans chassés de leur terre, on n’y trouve pas Francis Ford comme on en a l’habitude (3).

Mais qu’importe, la famille est là. Elle est menée par la mère (Jane Darwell), une femme forte (dans tous les sens du terme) qui dirige son monde. Ce n’est pas un tyran mais tous savent qu’on peut se reposer sur elle, qu’elle sera toujours là. Pas étonnant qu’elle se réveille juste avant le départ de Tom : si le père (Russell Simpson, encore un habitué des films de Ford) sent à peine le baiser d’adieu de son fils, elle, malgré le sommeil, le sent partir et le retient une dernière fois.

Jane Darwell reçut un Oscar, tout comme Ford. Mais rien – encore une fois – pour Henry Fonda (4). Et pourtant, si un rôle doit caractériser le talent de Fonda, c’est bien Tom Joad. Il y a une force en lui, un enjeu qui le dépasse – la lutte de Casey qu’il poursuit sans vraiment la comprendre – qui le transfigurent, voire le rendent quasi divin : comme Casey, mort pour ses idées (5), Tom ira jusqu’au bout de lui-même pour faire triompher l’injustice, dont il est avant l’une des premières victimes.

 

Outre Jane Darwell et Henry Fonda, John Carradine joue lui aussi l’un de ses plus beaux rôles. Il n’est plus ce maton sadique de The Prisoner of Shark Island, mais un prédicateur qui a reçu ce qu’on pourrait appeler l’anti-Révélation : il ne croit plus. Sans cesse, il revient sur son passé religieux, mais à chaque fois c’est pour le laisser à la porte de son esprit : même ses paroles pour l’enterrement de Grandpa Joad restent vides de toute référence religieuse. Il enterre un homme, qui a vécu ce qu’il a vécu, sans aucun jugement moral.

Il n’est plus un soldat de Dieu, il n’est plus qu’un homme qui se bat pour ses nouvelles convictions : l’homme lui-même.
C’est cet esprit que Tom Joad évoque quand il parle à sa mère, une dernière fois. C’est un monologue plein d’espoir qu’il débite, pesant chaque parole comme s’il s’en vêtait pour mieux l’appliquer. C’est un homme pourchassé qui va s’en aller, s’accordant le seul geste affection pour sa mère de tout le film. A l’instar de Casey qui s’était libéré de Dieu pour libérer les hommes, Tom quitte sa famille pour faire sienne l’humanité persécutée.

 

Et si Tom  et sa mère savent que son avenir est bien funeste, il n’empêche que la dernière séquence peut nous laisser espérer un peu d’espoir : Tom part vers la lumière (de l’aube) dans le sens du progrès (de la gauche vers la droite).

Mais pour combien de temps ?

 

 

  1. On y trouvait déjà John Qualen
  2. “A Government of the people, by the people, for the people, shall not perish from the Earth.” (Gettysburg Address, 19-3-1863)
  3. Il semble qu’il fasse une (très courte) apparition, mais je ne me sentais pas de regarder le film en image part image…
  4. Il en aura tout de même un en 1982, pour son dernier film. Il fallut presque attendre sa mort pour que le métier le reconnaisse enfin comme l’un des plus grands…
  5. Il a beau n’être plus pasteur, il n’en demeure pas moins une figure christique.

 

 

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