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Le Monde de Djayesse

Le Monde de Djayesse

Un peu de tout : du cinéma (beaucoup), de l'actu (un peu) et toute cette sorte de choses [A bit of everythying: cinema (a lot), news (a little) and all this kind of things]

Publié le par Djayesse
Publié dans : #Cinéma, #Steve McQueen, #Histoire
12 Years a slave (Steve McQueen, 2013)

Solomon Northup (Chiwetel Ejiofor) est un violoniste talentueux, qui vit paisiblement avec sa femme et ses enfants à Saratoga, dans l’état de New York.

Contacté par deux hommes de spectacle, il part en tournée avec eux. Malheureusement pour lui, un soir où il a trop bu, ces deux hommes le livrent comme esclave, puis il est envoyé en Géorgie. Et pendant douze longues années, il va passer de propriétaire en propriétaire jusqu’à ce que la Justice le ramène vers la vie qu’on lui avait ôtée.

 

Il y a aux Etats-Unis une plus grande conscience des responsabilités de l’état face à ses citoyens, ce qui amène une production cinématographique riche voire essentielle pour aborder certains thèmes honteux voire inhumains que le pays a pu connaître pendant son existence. L’esclavage en fait partie, et depuis Racines (1978), on n’a pas eu souvent l’occasion de saluer un tel travail.

Je ne dis pas que rien ne fut tourné ni écrit pendant trente-cinq ans, je pense qu’il n’y a pas eu énormément d’œuvres aussi fortes que ce film.


Steve McQueen (rien à voir avec l’autre) signe ici son troisième film, mais surtout, il est absolument magistral.

Chiwetel Ejiofor est tout bonnement magnifique dans le rôle de cet homme libre spolié de sa liberté et, plus important, de sa vie.

C’est une longue descente aux enfers qui s’impose à lui, de la manière la plus terrible qui soit : privé de sa liberté et de ses droits, il devient un animal dont on peut disposer à sa guise, avec droit de vie ou/et de mort.

 

Le premier propriétaire est un personnage ambigu comme le proposait beaucoup de ces mêmes gens pendant la période esclavagiste : William Ford (Benedict Cumberbatch) est un maître plutôt humain même si malgré sa piété il ne songe pas à un seul instant à libérer ses esclaves. Il prend soin d’eux certes, mais il n’a pas l’intention de changer quoi que ce soit : quand Northup devient une menace pour sa vie – il l’a sauvé d’une pendaison – il préfère se débarrasser de lui en l’envoyant chez un autre propriétaire. Et du fait de l’incident, Ford a du mal à trouver un volontaire pour le reprendre.

 

Et c’est avec ce nouveau propriétaire – Edwin Epps (Michael Fassbender) – que la situation va grandement empirer. Epps est terrible, et d’une grande cruauté, attisé par un conflit avec sa femme qui ne supporte pas que son mari couche avec la jeune esclave Patsey (Lupita Nyong'o). C’est d’ailleurs ce conflit qui amènera Solomon à une extrémité inimaginable auparavant : c’st lui qui est sommé de fouetter la jeune femme pour la punir.

C’est un moment d’autant plus terrible qu’il se met, malgré lui, du côté des bourreaux. Sa réaction à cet abaissement en est d’autant plus terrible : il va détruire son violon, le seul lien qu’il lui restait avec sa vie libre, et sur lequel il avait gravé les noms de sa femme et ses enfants. Cette destruction est d’une certaine façon le prix à payer pour pouvoir un jour s’en remettre (1).

 

C’est en plus une belle histoire vraie que nous propose McQueen, en prenant le temps de montrer et de faire ressentir ce qu’il se passe. A aucun moment il p&asse rapidement sur quelque chose. Parce que tout a son importance, et tout nous ramène au récit de Solomon dont est tiré le film. Et à moins de manquer cruellement d’empathie, on ne peut rester insensible au sort de ces pauvres esclaves qui avaient le seul tort d’être noirs.

Et il est servi par une interprétation toujours juste, que ce soit du côté des gentils que du côté des méchants. Bien sûr, Michael Fassbender est lui aussi magistral dans le rôle de cet homme qui n’a plus d'humain que l’apparence, niant une quelconque humanité dans ce qu’il considère comme du bétail. Et l’intervention du charpentier Bass (Brad Pitt avec une belle barbe) est on ne peut plus révélatrice de cette mentalité esclavagiste qui était largement répandue dans le Sud américain. Mais pas seulement puisqu’aujourd’hui encore des pays pratiquent la traite des esclaves.

Bien sûr, devant une telle attitude, on comprend pourquoi la Guerre de Sécession (2) a eu lieu : avec le best-seller d’Harriet Beecher Stowe (La Case de l’Oncle Tom) les Nordistes purent se rendre véritablement compte des effets on ne peut plus néfastes de l’esclavage. Et la première séquence qui nous présente les Northup dans Saratoga est claire : Solomon est respecté et même apprécié par ses concitoyens. C’est un homme qui avait une vraie vie et non un éternel supplice qui recommençait chaque jour.

 

Et l’une des scènes les plus terribles du film – à mon avis – n’est pas celle des différents fouettages (sauf le dernier, voir plus haut) mais le moment où Solomon est sauvé par Chapin (J.D. Evermore) de la pendaison mais pas pour autant délivré : il reste un long moment sur la pointe des pieds, à sans cesse chercher la meilleure position pour  pouvoir respirer et donc survivre. Cette séquence est d’autant plus terrible qu’on y voit les autres esclaves vaquer à leur quotidien sans même adresser un regard à Solomon. Même Chapin, qui l’a pourtant sauvé ne fera rien pour le détacher et soulager sa situation. Seule une jeune esclave viendra lui offrir de l’eau, avant l’arrivée de Ford qui le libèrera.

 

Cette séquence est aussi très représentative de la façon de filmer de McQueen. Il prend son temps à bon escient, ne laissant aucun détail au hasard, cette longueur des plans s’accordant parfaitement avec la souffrance des esclaves : le temps n’est pas perçu par tous de la même façon, mais surtout, la situation distend cette notion. En effet, une situation pénible nous fait trouver le temps long, alors qu’un moment heureux a tendance à le raccourcir. Mais ici, chaque situation est pénible pour Solomon et les autres.

Et jusqu’au dernier gros plan de Solomon (au moment de retrouver sa liberté), ce rythme pertinent est maintenu : c’est à ce moment qu’on prend conscience du temps qui a passé : ses traits sont marqués, mais surtout ses cheveux ont blanchi aux tempes.

 

Libre certes il l’est, mais avec le sentiment d’avoir perdu une grande partie de sa vie, comme le montrent les retrouvailles finales.

 

 

PS : Le titre du roman dont est tiré ce film s’intitule 12 Ans d’esclavage.

Il semble que les traducteurs qui sont si prompts à nous proposer des titres fantasques ne soient pas capables d’une traduction aussi littérale. Mais ceci est une autre histoire.

 

PPS : Chiwetel Ejiofor retrouvera Benedict Cumberbatch trois ans plus tard (et je pense pour quelques années encore) dans Doctor Strange.

 

  1. Toujours cette même Rédemption.
  2. Pour ma part, je préfère parler de « Guerre Civile »
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