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Le Monde de Djayesse

Le Monde de Djayesse

Un peu de tout : du cinéma (beaucoup), de l'actu (un peu) et toute cette sorte de choses [A bit of everythying: cinema (a lot), news (a little) and all this kind of things]

Publié le par Djayesse
Publié dans : #Cinéma, #Stanley Kubrick, #Anticipation
Orange mécanique (A clockwork Orange - Stanley Kubrick, 1971)

 

« Les aventures d’un jeune homme qui s’intéresse principalement au viol, à l’ultra-violence et à Beethoven. » (1)

Telle était l’accroche de l’affiche originale, de ce film adapté du roman d’Anthony Burgess. Ce dernier en voudra d’ailleurs beaucoup au cinéaste, ce qui n’est pas nouveau : une œuvre, quand elle est adaptée par Kubrick devient sienne. En effet, tout comme the Shining neuf ans plus tard, la référence qui nous vient tout d’abord à l’esprit, c’est le film.

Et bien que revoyant le film pour la dixième fois (au moins, je ne compte plus), je suis toujours fasciné par la maîtrise du maître.

 

Le premier plan donne le ton : le visage d’Alex (Malcolm McDowell) qui nous regarde, des faux cils à l’œil droit, et puis la caméra recule et nous voyons peu à peu le décor et les différents protagonistes. Les quatre droogs tout d’abord – Alex, Georgie-Boy (James Marcus), Dim (Warren Clarke) & Pete (Michael Tarn) – puis le Korova Milk-Bar et ses habitués aux tenues pas tellement différentes des quatre garçons.

Et le lait qui y est servi n’a plus grand chose à voir avec une quelconque boisson enfantine.

Ce plan-séquence sera utilisé plusieurs fois dans le film avec le même effet.

 

Puis on entre dans le vif du sujet : l’ultra-violence.

C’est une bagarre qui nous est proposée, la bande d’Alex affrontant celle de Billy Boy (Richard Connaught). Mais alors que cette bagarre est une débauche de violence pour le spectateur, Kubrick la fait accompagner par l’ouverture de la Pie Voleuse de Rossini, atténuant considérablement les effets : la bataille devient alors chorégraphiée et l’outrance de la violence un ballet spectaculaire qui explose dans le forte de la musique.

Cette même musique de Rossini servira une nouvelle fois pour un autre épisode de lutte, cette fois-ci au ralenti, entre Alex et ses compagnons.

[Alex et ses droogs portent chapeau melon, tandis que la bande de Billy Boy sont en costume vert-de-gris : les Anglais contre les Allemands, une réminiscence du dernier conflit mondial]

 

Mais si la violence est omniprésente, le sexe prend une part peut-être plus importante encore. Les représentations phalliques y  pullulent : de Basil le serpent d’Alex qui pointe vers le poster d’une femme nue, en passant par les glaces des deux jeunes filles de la boutique du disquaire ; des phallus à la craie ajoutés sur les fresques murales (avec explications) de la résidence d’Alex ; sans oublier Alex lui-même qui se retrouve nu à plusieurs reprises (2). Et bien sûr la scène meurtrière où Alex se protège et attaque avec une statue représentant, une nouvelle fois un énorme braquemart.

En plus de ce « fil rouge », on va retrouver des éléments qui vont se répondre tout le long du film.

 

Le premier élément est le soutien-gorge de la jeune femme que la bande de Billy Boy a décidé de violer : on en retrouve un accroché à la rampe de l’escalier de l’immeuble d’Alex.

Le dernier (3), c’est une réminiscence d’un film qu’Alex est obligé de voir : des images du Triomphe de la volonté, puis des camps de concentration – apprend-on – accompagnées de La Neuvième Symphonie de Beethoven, remixées par Wendy Carlos & Rachel Elkind, donnant une distorsion terrible à l’œuvre originale.

En effet, parmi les photographes venus immortaliser un Alex guéri serrant la main du Ministre de l’Intérieur (Anthony Sharp), se trouve un homme aux cheveux grisonnants, à la mèche couvrant la partie gauche de son front et arborant une petite moustache sous le nez.

 

Et puis il y a la musique, l’élément central du film, celle qui aide le narrateur – Alex, bien sûr – dans ses décisions.

Après La Pie Voleuse, c’est donc à La Neuvième de pénétrer dans le film.

Nous sommes au moment où Alex est rentré chez lui après la nuit bien chargée qu’il a vécue. Le second mouvement commence avec le visage d’Alex, intense et la caméra passe alors sur un portrait du compositeur pendant que la musique gagne peu à peu en intensité, jusqu’au forte qui amène un montage calqué sur le rythme du mouvement. On retrouve dans ces images une intensité qui rappelle une chanson écrite par Lou Reed pour le Velvet Underground : Heroin.

Nous assistons alors à une transe qui se justifie par le calme précédent la tempête d’images montées dans ce rythme rapide, cadrées de différentes façons pour accentuer la violence et l’impression de malaise. Du grand art, encore une fois.

 

Cette musique, centrale dans le film, est elle aussi malmenée par la représentation de la société dans le film. Si on y reconnaît certains extraits (la Tempête du Guillaume Tell de Rossini – encore lui ; ou encore la Marche funèbre pour la Reine Marie de Purcell), on est tout de même gêné par le côté électronique ou électro-acousmatique de certains morceaux (4). La distorsion s’explique avant tout par l’esprit malade d’Alex, et cette société déshumanisée qui nous est présentée.

En effet, le monde dans lequel vit Alex – Londres – n’est vu qu’à travers des constructions modernes (pour 1971) absolument vide de couleur et de représentations. Seule les murs sont ornées d’éléments plus ou moins picturaux, mais pour la plupart dans une tendance minimaliste, sans beaucoup de détails.

Et pire que cela, il n’y a pas rand monde qui vit par là. On peut compter sur les doigts d’une main les rassemblements de plus de 10 personnes, tant la solitude est présente, voire prégnante.

 

C’est bel et bien une société déshumanisée qui nous est montrée et l’enjeu politique de l’intrigue : réformer les criminels en leur inculquant (grâce à un lavage de cerveau) un dégoût physique du sexe et de la violence parachève l’entreprise de déshumanisation. En refusant la violence par peur d’être physiquement malade, on prive l’individu de ce qui le fait humain : le choix.

 

PS : j’oubliais, la référence à son film précédent, 2001, a space Odyssey.

 

  1. « B-E-E-T… »
  2. Nous sommes fin 1971 et au vu des réactions que suscita le film à sa sortie, on se dit que Kubrick a bien fait de ne pas exposer carrément l’attribut viril de Malcolm McDowell (ce qu’il ne souhaitait peut-être pas non plus), ajoutant alors un autre bâton (c’est le cas de le dire) pour se faire frapper.
  3. Pour les autres, je vous laisse revoir le film pour les débusquer…
  4. La Tempête est la seule utilisation comique du film. On y voit Alex et deux jeunes filles s’ébattre sur un rythme accéléré des images, rendant grotesque cette débauche sexuelle (c’est le terme, non ?), la vidant alors de tout ce qui aurait pu être beau et surtout donnant à l’acte un côté bestial, encore une fois déshumanisé.
  5. En prison, Alex a pour nom De Large. Mais sur les dernières coupures de presse, il se nomme Burgess…

 

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