Tout commence à l’été 1914. Le professeur de lettres classiques oublie un temps sa discipline pour vanter sa patrie qui envoie de jeunes hommes courageux défaire les armées françaises et anglaises sur le front de l’ouest. Les jeunes gens, (presque) d’un seul homme se lèvent partent s’engager pendant que les troupes défilent dans les rues de leur village. Parmi eux, le jeune Paul Baumer (Lew Ayres) n’hésite pas une seule seconde, laissant en suspend des études littéraires qui s’annoncent brillantes.
Quatre ans après, que reste-t-il de ces jeunes gens, alors que l’armée allemande continue de fournir en soldats, de plus en plus jeunes…
Lewis Milestone réussit ici l’un des plus grands films de guerre, et comme toujours dans ces cas-là, le message délivré est avant tout un message paix.
Mais la grande différence avec les autres films de guerre produits à Hollywood depuis la fin de la première Guerre Mondiale, c’est qu’en adaptant le roman magnifique d’Erich Maria Remarque, Milestone nous propose la guerre du point de vue allemand (1). Et la véritable force pacifiste du film, c’est que ce qui arrive à Paul (et ses compagnons d’arme) est transposable aisément dans n’importe quelle armée de l’époque.
En effet, Milestone nous fait vivre presque toute la guerre 14-18 à travers les yeux de Paul – environ 18 ans quand commence le conflit – qui en devient un vétéran alors qu’il n’a pas beaucoup entamée sa vingtaine d’années : ses traits se sont durcis, ses idéaux ont disparu depuis bien longtemps, et son souhait est que cette guerre se termine, pour tout le monde, ou sinon que pour lui.
Le retour au village pendant la seule permission qu’il a nous le montre totalement en décalage avec ses concitoyens, abreuvés de propagande qui leur montre un tout autre visage de la guerre que celui que Paul a à offrir.
Il faut dire que cette guerre, encore plus que toutes celles d’avant, est moche (2). Nous sommes bien loin des rêves des jeunes hommes qui partirent en 1914, vêtus de leur uniforme d’apparat, aux bras des jeunes femmes pendant les manifestations d’allégresse de la foule qui les regarde défiler.
Rien de tout ça au front : pas de femme, de la nourriture infecte – quand il y en a – et surtout la peur qui tétanise et rend fou. La suite des premiers assauts est d’ailleurs très claire à ce propos.
Mais même si les soldats tombent autour de lui, Paul garde espoir, soutenu par quelques camarades – ils sont de moins en moins – et deux personnalités qui vont l’accompagner (presque) jusqu’au bout : Tadjel (Slim Summerville) et surtout Stanislas « Kat » Katczinsky (Louis Wolheim). Ce dernier retrouve ici Milestone avec lequel il a déjà tourné
un film de guerre (Two Arabian Knights, 1927). Il est ici inoubliable, de par son physique de boxeur tout d’abord (voir note 1 dans le film sus nommé), mais aussi pour sa débrouillardise dès qu’il s’agit de trouver de la nourriture (3). C’est un personnage très attachant, bourru la première fois qu’il apparaît (les nouveaux arrivants ne sont rien que des bleus qui ne connaissent rien de la guerre), mais aux grandes qualités humaines.
La guerre que nous montre Milestone n’est pas très différente de celle de Raymond Bernard (Les Croix de bois), même si ici les acteurs ne sont pas de véritables vétérans, mais la présentation du conflit est de la même facture. Une longue fresque silencieuse sauf quand le canon tonne et les mitrailleuses crépitent.
Cette utilisation parcimonieuse du son s’explique en partie par l’héritage du cinéma muet (beaucoup de séquences sont sans paroles), mais aussi parce que de la musique y serait superflue.
Toutefois, l’intrigue permet quelques belles envolées parlantes pour dénoncer les causes du conflit : quand les soldats, entre deux assauts se posent eux-mêmes la question de la cause de la guerre, proposant de laisser les chefs d’état se battre entre eux, en petite tenue dans une lice ; quand Paul, surpris et lassé de voir que son professeur continue, quatre ans après lui, à galvaniser des élèves toujours plus jeunes. Sa diatribe est des plus belles, et explique en partie pourquoi le film fut censuré en Allemagne.
Pour le reste, les images de ces hommes qui tombent ne nécessitent aucun commentaire superflu : la grande séquence d’assaut est un modèle de propagande antimilitariste, comme le seront d’autres grands films sur ce même sujet.
Les armées vont et viennent, les soldats avancent, reculent et meurent, pour la gloire de leur patrie, et pour permettre aussi à certains de s’enrichir (élément évoqué pendant la discussion entre soldats).
Alors, à l’Ouest, rien de nouveau ? Si, un très beau film antimilitariste, adapté d’un non moins beau roman qui l’est tout autant. Quant au titre (quelle qu’en soit la traduction), je vous renvoie à la dernière page de ce roman.
- Rex Ingram (Les quatre Cavaliers de l’apocalypse, 1921) et John Ford (Quatre Fils, 1928) avaient déjà, en partie pour Ingram, opté pour ce point de vue différent.
- Je sais, c’est un pléonasme, une guerre est toujours moche.
- Célestin Pou (Un long Dimanche de fiançailles) bien avant la lettre.