Dix personnes dans une maison, sur une île, un vendredi. Le prochain passage du bateau aura lieu lundi. Ces dix personnes vont devoir apprendre à vivre ensemble.
A moins que ce soit mourir...
René Clair adapte ici ce qui est - à mon avis - le roman le plus noir de la grande Agatha (Christie, pour les ramollis du bulbe). Alors que ses autres romans amènent toujours une (ré)solution, ici, il n'y a personne qui va en réchapper. Tous sont condamnés à réaliser la comptine jusqu'au dernier vers : « et il n'en resta plus aucun. »
Mais, comme c'est René Clair, il faut que ça se termine bien. [Pour les ceusses qui ne l'ont pas encore lu, je vous laisse aller découvrir la vraie fin !]
Cette fin heureuse m'avait fait hausser les sourcils, mais comme la grande Agatha (toujours la même !) en avait tiré une pièce de théâtre avec cette fin (à moitié) heureuse, je l'ai tout de suite rabaissé. Et puis qu'est-ce que ça peut faire, si ça se tient ?
Parce que ça se tient. On suit avec délectation les disparitions successives des protagonistes, essayant de deviner qui sera le prochain ainsi que le modus operandi, histoire de voir en quoi il suit la comptine. Et puis la distribution nous aide : on y retrouve - entre autres - quelques gloires dans des seconds couteaux pertinents : Barry Fitzgerald (le Juge Quincannon), Walter Huston (le docteur Armstrong), Roland Young (Mr Blore) et la troublante Judith Anderson (Emily Brent).
Et puis il y a Mr Owen. U. N. Owen (jeu de mots), l'hôte des lieux. Celui qu'on ne voit pas, Némésis qui les accuse tous d'avoir tué à un moment de leur vie. Parce que tous sont des criminels. Et ils sont là pour payer, et donc mourir, la justice immanente veillant à l'exécution des sentences définitives.
Mais je l'ai déjà dit, nous sommes chez René Clair, et l'humour affleure : l'arrivée en bateau, entre le mal de mer de Blore et le foulard de Vera Claythorne (June Duprez), le ton est donné. Il y aura l'attitude de Rogers (Richard Haydn) face aux accusations qui donnera un beau moment comique. Pour le reste, on reste dans l'univers un tantinet british du roman, avec juste ce qu'il faut d'humour du même nom.
Alors on se régale, en se disant tout de même que les mentalités sont en train d'évoluer : de Dix petits Nègres (titre anglais), on est passé à Dix petits Indiens (titre français), jusqu'au titre américain (voir ci-dessus) qui ne fait plus référence à personne.
Mais l'histoire (plus ou moins sordide) subsiste, et c'est bien ce que nous attendions, non ?