Angleterre, XVIIIème siècle.
Grandeur et décadence de Redmond Barry, jeune Irlandais opportuniste, à travers une Europe en guerre.
Il y a chez Kubrick une faculté au renouvellement assez extraordinaire. EN effet, après s’être essayé aux films de gangsters, péplum, de guerre ou d’anticipation, il nous propose ici un film en costume d’une grande maîtrise technique et esthétique. Bref, c’est du Kubrick.
Mais ce qui marque le plus dans ce film, c’est la recréation de ce dix-huitième siècle pictural qu’on peut admirer dans les œuvres de Constable, Gainsborough ou encore Hogarth : on y retrouve des éclairages similaires et comme chez ce dernier des tableaux à l’intérieur de ses toiles. Et c’est surtout dans la seconde partie qu’on peut faire ce parallèle : la première partie se passe la plupart du temps en extérieur alors que la seconde a tendance à enfermer les personnages, physiquement et moralement.
D’une manière générale, on retrouve une dualité tout au long du film, divisé en deux parties nous montrant deux facettes d’un même homme.
Dans la première partie donc, on découvre le jeune Redmond Barry (Ryan O’Neal), naïf et passionné, et qui se retrouve à parcourir les routes suite à un duel remporté sur un personnage influent qui voulait épouser sa cousine : le capitaine John Quin (Leonard Rossiter).
Ce sont d’ailleurs deux duels qui vont marquer les limites de la vie cinématographique de Barry : le premier l’envoie vers son destin, et le second le ramène à ce qu’il a toujours été, un homme de rien.
Ce n’est pas une révélation que de le dire : le narrateur (Michael Ordern) rappelant régulièrement la fin tragique et inéluctable de Barry. Et ce qui intéresse Kubrick c’est tout ce qui se passe entre ces deux coups de feu qui bordent la vie de son (anti ?) héros : comme une longue parenthèse dans sa vie de rien.
L’ascension de Barry voit le jeune homme passer d’une vie en extérieur, marquée par la Guerre de 7 ans (1756-1763). Barry y voit de suite une façon d’échapper à la justice suite au duel, et il s’engage donc dans les troupes de George III. Mais cette situation est tout de même périlleuse, les combats y étant fort meurtriers. La seconde opportunité qui s’offre à lui, la désertion, ne va réussir qu’à le faire changer de camp rejoignant donc les troupes prussiennes. Mais c’est ce revirement qui va amener toute la suite de l’intrigue, scellant définitivement son destin. De soldat il devient agent secret, espionnant un compatriote, le chevalier de Balibari (Patrick Magee, qui jouait déjà dans le film précédent de Kubrick). Et autre exemple de la dualité du film, de même que par opportunisme, il est agent double, trouvant ainsi une autre manière de quitter cette situation.
De retour en Angleterre avec Balibari, ils écument toutes les tables de jeu. C’est ainsi qu’il fera la rencontre la plus capitale de sa vie : la comtesse de Lyndon (la belle Marisa Berenson), qui semble échappée d’un tableau de Gainsborough.
Cette rencontre, qui se soldera par un mariage coïncide avec l’époque la plus heureuse de sa vie et terminera la première partie du film. Barry a atteint son apogée, et quand le film reprend, un titre nous annonce sa chute. Et elle est d’autant plus spectaculaire que Barry est monté haut dans la société anglaise.
C’est après la naissance de son fils que les choses se précipitent. En effet, parvenu à son objectif, il n’a plus rien à attendre de sa femme, et mène donc une double vie faite de jouissance et de plaisir. Mais cette deuxième vie va aussi stigmatiser la relation qu’il a avec son beau-fils, Lord Bullingdon (Dominic Savage, puis Leon Vitali, qui deviendra un proche de Kubrick).
Cette relation faite de rancœur et d’hostilité amènera le deuxième duel, mettant ainsi un terme aux prétentions de Redmond.
Ce duel, en outre se situe dans une grange – alors que le premier était en plein air – signe ultime de l’enfermement de Barry : prisonnier de ce destin qu’il a lui-même créé et qui le renvoie à sa condition primaire.
En plus d’une reconstitution magnifique de l’Angleterre du XVIIIème siècle, Kubrick adopte un rythme lent. Même dans les scènes de batailles, il prend le temps : les fusillades possèdent aussi ce rythme lent du fait du temps nécessaire aux soldats pour recharger leurs armes, et de l’avancée des armées qui se fait dans l’ordre et le calme. Cette lenteur accentue le caractère inéluctable du destin de Barry. En effet, c’est une force incontrôlable qui le mène vers sa chute. Et la lenteur, faite de petits éléments mis bout à bout, cache à Redmond sa chute prochaine, jusqu’à l’intervention de trop contre son beau-fils, qui en plus se fait en public.
Dès lors, la chute s’accélère jusqu’au duel final.
Et c’est paradoxalement ce duel final qui va donner à Barry ce qui lui a manqué dans son ascension et aurait dû faire de lui un homme comblé : de la grandeur d’âme. Mais cette grandeur tardive scelle aussi définitivement sa déchéance, le jeune Lord Bullingdon le renvoyant à sa condition initiale, tant physique que morale.
Quoi qu’il eût pu tenter, il ne pouvait pas réussir.
La parenthèse se referme. L’ordre immuable de la société anglaise est respecté.
Et si la toute dernière séquence nous annonce que nous sommes en 1789, il ne faut rien y voir d’extraordinaire : c’est en France que l’ordre immuable fut bouleversé.