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Le Monde de Djayesse

Le Monde de Djayesse

Un peu de tout : du cinéma (beaucoup), de l'actu (un peu) et toute cette sorte de choses [A bit of everythying: cinema (a lot), news (a little) and all this kind of things]

Publié le par Djayesse
Publié dans : #Cinéma, #Michael Powell, #Emeric PressBurger, #Drame
Le Narcisse noir (Black Narcissus - Michael Powell-Emeric PressBurger, 1947)

Elles sont deux.

L’une en face de l’autre.

C’est un duel.

Chacune prépare ses armes : un bâton de rouge à lèvres contre un livre de prières.

Gagnera celle qui tiendra le plus longtemps.

 

Mabu est un palais dans la montagne. On dit que le prince y envoyait ses femmes.

Ses murs sont recouverts de fresques rappelant le faste de cette époque : des femmes, richement vêtues, dénudées, dansant, se baignant…

C'est là que les Sœurs de l'Ordre des Servantes de Sainte Marie ont été envoyées, pour y installer une école et un dispensaire. Elles sont cinq. Cinq femmes envoyées dans un palais de femmes, et accueillies... Par des hommes !

Le premier, c'est l'hôte des lieux : le vieux général (Esmond Knight). C'est lui qui met à disposition ce palais.

Le second, et ce terme lui sied tout à fait, c'est Mr Dean (David Farrar) : il aide, il conseille les nonnes, sans toutefois leur cacher que leur place n'est pas ici.

Le troisième, c'est le jeune général, celui qui donne son titre au film : il porte sur lui un foulard imbibé d'un parfum anglais acheté à Londres, le Narcisse noir.

Nous suivons alors les efforts des religieuses pour apprivoiser les indigènes, les appelant inlassablement chaque matin à six heures, sonnant la cloche au bord du précipice.

 

Ce sont des religieuses. Ce ne sont plus des femmes. Entre leur vie antérieure et l'instant présent, une frontière qui n'est pas que symbolique : un voile. C'est ce voile qui empêche ces femmes d'être elles-mêmes. Et quand l'une d'entre elles le rend, elle redevient femme, dans toute sa splendeur, dans toute sa beauté.

Pourtant, c'est là qu'est le cœur de l'intrigue : le voile ou non ?

En venant dans ce palais, chaque sœur, l'une après l'autre redevient femme. Les souvenirs de leur vie d'avant émergent puis les submergent. Sauf peut-être sœur Briony (Judith Furse), qui est peut-être un peu trop hommasse pour être concernée...

- Sœur Philippa (Flora Robson)oublie ses devoirs de jardinière, reléguant les cultures potagères dans des endroits moins voyants, et les remplaçant par des fleurs ;

- Sœur Blanche (Jenny Laird) outrepasse ses prérogatives en laissant parler un instinct maternel trop longtemps refoulé ;

- Sœur Ruth (Kathleen Byron) est celle pour qui le palais amènera la Révélation : elle rendra son voile ;

-Sœur Clonagh (Deborah Kerr), enfin, la Supérieure, ne peut endiguer ses émotions passées, mais ne cèdera pas pour autant à l'appel de la féminité, malgré tout de même la présence de Dean.

 

Dean. Le seule véritable homme de l'histoire. Le vieux général est résumé par son épithète, tout comme son neveu - jeune général - le fameux « Narcisse noir ». Dean, lui, est un homme, un vrai. Sa masculinité déborde. Il est peu vêtu (essentiellement un short) et sa pilosité ressort de plus en plus. Plus le film avance, et moins il est habillé. Il commence avec une chemise qui va s'ouvrir et même disparaître, dévoilant (!) aux religieuses son torse velu et viril.

Sans le vouloir (?), il deviendra l'enjeu. L'enjeu des deux femmes. L'enjeu de l'affrontement décrit précédemment. Mais il refuse d'être cet enjeu.

Et en fin de compte, c'est lui qui a raison. Les sœurs repartiront d'où elles sont venues, vers d'autres destinées. Lui restera, seul.

 

Le départ des sœurs, c'est le retour au voile qu'elles avaient (presque) oublié. Et ce voile qu'elles re-porteront s'applique au palais qu'elles quittent : le dernier regard que nous y portons nous montre le brouillard l'envelopper tel un autre voile, fermant la parenthèse que fut ce séjour montagnard. Cette parenthèse qui les fit à nouveau se sentir femmes, et qui se referme comme si elles émergeaient d'un étrange rêve.

 

Cette cinquième collaboration entre Michael Powell et Emeric Pressburger est merveilleuse. Nous assistons à une féérie sensuelle : ces sœurs redeviennent femmes, et leurs sens se réveillent. Elles parlent des couleurs du tissus, de la fragrances du Narcisse noir ;  mais aussi, les fleurs qui seront plantées en évidence le sont pour leur apparence (jonquilles) ou leur senteur (chèvrefeuille).

 

Et puis il y a le Technicolor. Son utilisation judicieuse nous ramène au Robin Hood de Michael Curtiz. Mais là où les couleurs éclataient, ici, elles sont plus douces - le bleu de la salle ou danse Kanchi (Jean Simmons) - mais parfois tranchent avec l'habit blanc des religieuses : le rouge à lèvre de (Sœur) Ruth, le sang sur la robe de Sœur Blanche, les yeux de Ruth... Sœur Ruth qui se penchait en souriant en regardant le fond de la vallée, du haut de son palais...

 

Une autre féérie de couleurs.

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