Il y a Sally Bowles (magnifique Liza Minnelli), et le reste du monde. Ou plutôt de Berlin. Tout est centré sur elle. Et Liza Minnelli explose. Elle est extraordinaire. Le seul qui joue dans le même registre, c'est le Maître de Cérémonie (Joel Grey). Lui aussi est époustouflant dans ce rôle de présentateur-chanteur-danseur dans un monde en (mauvaise) évolution. Il est clair que les autres acteurs sont éclipsés par ces deux-là (surtout Liza).
Ca commence par un reflet - déformé - du Maître de cérémonie. Et tout ce qui va suivre est comme un reflet déformé. On croit qu'il se passe une chose, mais c'est une autre qui arrive.
Nous vivons les deux dernières années de la République de Weimar.
Au Kit Kat Club, cabaret berlinois, les filles sont belles, les artistes sont beaux, même l'orchestre est beau. Maintenant que nous sommes installés dans le saint des saints, l'histoire peut commencer.
C'est un montage parallèle qui ouvre le film : pendant que le Maître de cérémonie nous présente les artistes, nous voyons arriver Brian Roberts (Michael York) à Berlin. Il va habiter chez Frau Schneider, la chambre en face de celle de Sally.
Bientôt ils seront amis, puis amants, et puis ils rencontrent le beau Maximilien (Helmut Griem), un aristocrate...
Le cabaret est omniprésent dans la vie de Sally. Mais aussi dans le film où chaque chanson illustre un épisode, qu'il soit en rapport avec les personnages ou la situation de l'Allemagne : Wilkommen(Bienvenue) pour nous faire entrer dans ce monde ; Maybe this Time (Cette Fois, peut-être) quand Sally et Brian se mettent ensemble ; Two Ladies (Deux femmes), alors que Sally et Brian vont chez Max pour une relation un peu plus intime ; If you could see her (Si vous pouviez la voir[comme moi]), chanson à la chute antisémite...
Parce que pendant que Sally espère un contrat au cinéma, l'avenir de l'Allemagne se joue. Les Nazis prennent de plus en plus de place. Au début, le patron du club vire un SA qui quêtait pour son parti. Il a fini dans la rue, battu à mort par ce même SA et ses copains. Puis les nazis s'affichent de plus en plus, ayant même recours à l'assassinat, pendant que la classe supérieure (les aristocrates comme Max) se repaît de la fin de cette république, se disant qu'ils arriveront bien à museler ces fanatiques. Là encore, la réalité est vu à travers un miroir déformant.
Nous suivons donc la relation entre Sally et Brian qui évolue comme l'Allemagne : au fur et à mesure que leur relation se détériore, l'Allemagne s'enfonce dans le nazisme. Et quand ils se quittent, les nazis sont installés.
Bob Fosse nous propose de beaux numéros de cabaret, d'un goût plus ou moins douteux - on s'amusait ainsi, dans les années 1930 - toujours entrecoupés d'éléments montrant la montée du parti nazi. Ils prennent de plus en plus de place, jusqu'à carrément s'installer au premier rang du cabaret. Que de chemins parcourus depuis le début, sous le regard entendu de la population. La scène où un jeune Allemand se met à chanter est celle qui amène un véritable malaise : malaise pour Brian et Max, mais aussi pour nous, spectateurs. Nous assistons réellement à l'avènement du parti nazi. Ce jeune homme est un jeune hitlérien avec uniforme et croix gammée et son chant, au premier abord doux et mélodieux se transforme en véritable hymne à la jeunesse appelée à diriger le pays : Tomorrow belongs to me (demain m'appartient). Et pendant que les jeunes et moins jeunes se lèvent pour reprendre cet hymne, un vieillard, à une table, se lamente en voyant l'ampleur du phénomène. Brian et Max repartent, se rendant compte qu'ils n'arriveront jamais à contrôler un mouvement d'une telle ampleur. Cette montée en puissance se manifeste aussi dans le cabaret : on se moque d'abord d'Hitler (Le Maître de Cérémonie se passe de la boue sous le nez pour lui ressembler), et quand il chante If you could see her, sa fiancée est une guenon. Il termine en disant qu'elle a l'apparence d'une Juive. Les esprits sont corrompus, même au Kit Kat Club.
Mais c'est la société allemande tout entière qui est corrompue. Tout se délite. La relation entre le trio Sally-Brian-Max est des plus décadentes : l'alcool coule à flot (surtout le champagne), ils ont une relation ambiguë, couchant les uns avec les autres sans tabou. Sally enfin, est une femme libre qui couche avec qui bon lui semble, et quand il le faut, elle n'hésite pas à avorter, crime impardonnable à l'époque. C'est aussi les dernières heures de la Neue Sachlichkeit (Nouvelle Objectivité) dont Otto Dix fut un formidable représentant. D'ailleurs, dans la séquence de présentation du cabaret, on aperçoit un plan d'une femme en robe, portant un monocle, une cigarette à la main : il s'agit de l'illustration parfaite du Portrait de la journaliste Sylvia von Harden par ce même artiste. Plusieurs images montrant l'Allemagne, pratiquement figées rappellent d'autre tableaux de ce grand peintre.
Hélas, les Nazis décréteront que son art est « dégénéré » et l'interdiront.
Le film se termine dans le même reflet déformé, après le salut final du Maître de Cérémonie, tandis que le générique se déroule dans un silence lourd, sur fond de croix gammée au bras d'un SA.