Septembre 1918. Quelque part en Bulgarie.
Le commandant Conan (Philippe Torreton) est un homme de commando. Avec un groupe d’hommes, ils sont des nettoyeurs de tranchée : ils investissent le camp adverse et en déloge les occupants. Parfois ils les gardent prisonniers, d’autres fois pas.
Et puis la guerre se termine.
Mais ils ne rentrent pas chez eux.
Nous suivons les pérégrinations du lieutenant Norbert (Samuel Le Bihan), ami de Conan, mais comme le dit ce dernier : « il y a ceux qui ont gagné la guerre, et ceux qui l’ont faite. »
Norbert fait partie de ceux qui l’ont faite.
Bertrand Tavernier nous propose un point de vue : entre Etat-Major et tranchées, entre la merde et la soie, n’est pas Talleyrand, qui veut.
La guerre, c’est la Grande, celle de 14, avec ses tranchées et ses morts stupides (1), avec ses officiers supérieurs et pas que dans leur galons, dans leur attitude aussi : ces planqués qui n’ont pas souvent connu le baptême du feu, si on en croit ce même Conan.
Mais la guerre, c’est aussi ola seule raison de vivre de ces survivants sans cesse en sursis. Même quand la Guerre est finie (28 juin 1919 : Traité de Versailles), ce n’est pas terminé. Il faut sécuriser les pays « conquis » et repousser les Bolchéviks. Et après ? (2)
Depuis Les Croix de Bois (1931), le cinéma français n’a pas beaucoup décrit la première Guerre Mondiale, si ce n’et en retraçant ses différentes phases, à l’aide d’images d’archives, estampillées SIRPA, cela va de soi. La grande Illusion (1937) de Renoir ne s’attardait que sur la vie des prisonniers, et d’une manière générale, les faits d’armes peu glorieux (3) étaient expressément écartés pour ne laisser la place qu’aux hauts faits glorieux. Sans oublier Les Sentiers de la Gloire, film qui resta dans les boîtes pendant trente ans en France.
En France, justement, on a l’habitude de célébrer les anniversaires qui tombent tout rond : 10 ans, 20 ans… Alors pour fêter les 80 ans de la Bataille de la Marne (4), Tavernier ouvre la voie à une autre façon de raconter cette immense et immonde Boucherie qui permit au monde d’entrer de plain pied dans le XXème siècle.
Ah, ils sont beaux, les militaires français, dans leurs habits kaki (le bleu horizon était passé de mode), qui partent à l’assaut d’une énième cote, avant de partir vers une autre et cela jusqu’à la fin.
Mais comme la fin n’arrive pas, l’inévitable se produit : des désertions, des contestations… Et tous ces beaux soldats – estampillés héros de guerre (AOC) – deviennent la lie de l’armée, (presque) de vulgaires criminels que Norbert doit surveiller, défendre, et au bout d’un moment accuser, au nom de ces mêmes généraux qui n’ont vu pour la plupart d’entre eux les ennemis que sur une carte (d’état-major, cela va de soi…).
S’il n’y a aucune envolée esthétique dans cette guerre, Tavernier ne ménage pas ses effets. La vision qu’il nous en donne est réaliste, même si elle n’atteint pas le degré du film de Spielberg Il faut sauver le Soldat Ryan. Mais l’intention est là, et pour une fois, les hauts gradés en sont pour leurs frais : entre le général Pitard (Claude Rich) qui n’est préoccupé que par une « cousine » (Catherine Rich, femme de…) qu’il essaie d’éviter et le commandant Bouvier (François Berléand) qui semble passer sa guerre à table, les troufions sont bien servis. Reste le Lieutenant de Scève (Bernard Lecoq), qui semble différents de ces aristocrates d’épée, mais qui, tout compte fait ne vaut pas tellement mieux, l’image de l’E-M en prend un sacré coup. Il était temps…
Restent aussi une distribution prestigieuse et talentueuse, où Torreton et Le Bihan sont toujours justes, avec bien sûr un Torreton qui en devient aérien tant son jeu est superbe. Une mention aussi à Bernard Le Coq, un officier presque humain, mais magnifiquement interprété lui aussi.
Au final, cette guerre que nombreux qualifient de « Grande » se termine en eau de boudin, sans faste ni explosion de joie comme on aurait pu l’imaginer.
La déclaration de signature de l’Armistice par le colonel Voirin (André Falcon), sous la pluie, se transforme en farce, quand on voit les soldats qui s’éclipsent discrètement pour soulager un besoin pressant et moins solide que d’habitude.
De là à dire que cette guerre les a fait ch…
- Y a-t-il pire connerie que la guerre ? (Cf. Barbara – Prévert, Paroles, 1946).
- Après, on s’achemine tout droit vers la Seconde, la paix chèrement acquise n’étant que toute relative…
- Les mutineries de 1917, suite aux offensives farfelues de l’E.M (je ne donnerai pas de nom, même si Nivelle me vient tout naturellement en tête)…
- Je ne suis pas convaincu que c’était vraiment un anniversaire bien glorieux…