1er avril 1979 : Mise en place d’un régime théocratique islamiste en Iran.
16 septembre 2022 : Mort de Mahsa Amini, tuée par la police des mœurs iranienne pour « port de vêtements inappropriés ».
Iman (Missagh Zareh) est un bon musulman. Fonctionnaire pour
Mais cette nouvelle fonction exige de la discrétion, voire de l’anonymat : Iman l’apprend à ses dépens quand il doit signer l’ordre d’exécution de la peine capitale contre un homme, sans avoir consulté son dossier. Parce que ces enquêteurs ne sont ni plus ni moins que des bourreaux par contumace, aux ordres du pouvoir.
Alors Iman est armé, on ne sait jamais. Malheureusement pour lui, son arme disparaît.
Va alors se développer un climat de suspicion à l’intérieur de sa famille : qui a volé le pistolet ? Sa femme Najmeh (Soheila Golestani) ? Ses filles Rezvan (Mahsa Rostami) ou Sana (Setareh Maleki) ? Quelqu’un de jaloux qui veut le détruire ?
Et tout ça se passe après le 16 septembre 2022…
Impressionnant. Fort. Superbe.
Tels sont les trois qualificatifs qui me viennent à l’esprit au sortir de ce film bouleversant, qui mêle avec brio les images véritables de ces événements et certaines reconstitutions. A l’instar des véritables protagonistes de cette tragédie (1), on ne ressort pas indemne de cette extraordinaire réalisation de Mohammad Rasoulof. Il y a une authenticité puissante, quand il dénonce les différents agissements de ce pouvoir vacillant (2), et surtout la violence exercée par la police (officielle ou non !).
Bien sûr, Rasoulof n’est pas passé inaperçu avec ce film, surtout que le Festival de Cannes l’a retenu (3) pour sa programmation et son palmarès : il a été condamné à 8 ans de prison en janvier dernier. Heureusement, il a réussi à fuir son pays pour présenter son film.
Quand y retournera-t-il ?
Et ce film, c’est aussi la description d’un éveil (partiel) de la jeunesse face à un système qu’elle n’a pas choisi et qui se retrouve persécutée par des extrémistes au nom d’un Dieu qui, semble-t-il, est amour lui aussi.
Mais cette prise de conscience a d’autres effets qui affectent directement cette famille centrale. La société est-elle en train d’exploser ? Peut-être, mais ce qui est certain, c’est que cette famille part en morceaux depuis qu’Iman a signé le premier ordre : on peut presque dire qu’il s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment !
En effet, la mort de Mahsa Amini entraîne la dislocation de sa famille, du fait de l’entêtement du père et de ses filles : la volonté d’émancipation et de liberté des unes et l’obscurantisme religieux de l’autre.
Et au milieu, la femme, qui est aussi mère.
Femme soumise à ce mari agréable qui gagne quand même bien sa vie, et mère de deux jeunes filles intelligentes qui l’aiment en retour. Bref, la mère d’une famille parfaite (3).
Et Rasoulof va prendre son temps (2 h 48 qu’on ne voit pas passer) pour montrer cette désagrégation inexorable, qui s’accélère même temps que celle que vivent les étudiants (et les autres) dans la rue. Iman s’enferme dans le dogme et se cache derrière l’Etat, pendant que ses filles commencent à regimber et remettre en question son autorité.
Et l’élément du destin, la disparition du pistolet va précipiter la destruction de la famille, jusqu’à un point de non retour. Et l’habileté (encore une fois) de Rasoulof, c’est la façon qu’il a de montrer Iman, qui n’apparaît pas – au début tout du moins – comme un intégriste, voire exalté. AU contraire, on peut ressentir une certaine sympathie pour ce bon père de famille qui fait tout pour mettre les siens à l’abri du besoin.
Mais quand il accepte de signer la première fois (ce que nous ne voyons pas), il met le doigt dans l’engrenage et ne peut plus se retirer, s’enfonçant toujours plus loin dans l’infamie. Parce qu’une fois qu’on a goûté au sang, on a envie d’y revenir. C’est bien connu, c’est la première fois qui est la plus difficile pour tuer quelqu’un. Parce que, en signant, même sous couvert d’une autorité, c’est tout de même la mort qu’on décide pour quelqu’un.
Alors on commence à douter de cet homme qui nous paraissait tout de même sympathique. Et quand son nom est publié (4), la fuite dans la maison familiale va sceller le destin de cette famille, montant encore d’un cran le degré de désagrégation, et surtout de violence.
Jusque là, la famille avait été à peu près épargnée – à part Sadaf (Nioushka Akhsti), l’amie de Rezvan qui reçoit une décharge de chevrotine avant d’être arrêtée (et tuée ?) – par la violence institutionnelle. Mais une fois la famille seule dans ses murailles (la propriété est fermée par un grand mur), Iman révèle sa vraie nature, celle du régime : les femmes sont mauvaises.
Mais, heureusement pour elles, les trois qui nous intéressent vont réussir à s’en sortir : à quel prix, certes, mais surtout, pour combien de temps ?
La force du film de Rasoulof s’appuie certes sur les véritables témoignages, mais aussi, il a à sa disposition un quatuor d’interprètes phénoménal. Il y a une grande dose d’authenticité dans leur jeu. On y croit sans problème, et si on est époustouflé par le duo Rostami/Zareh qui sont admirables, il ne faut pas négliger la part de Setareh Maleki dans cette interprétation collective : bien sûr, elle est un tantinet en retrait, mais elle est aussi plus jeune et son éveil sera différent, sans être toutefois moindre. Quant à Soheila Golestani, sa prestation de cette femme « comblée » qui s’éveille elle aussi est là encore admirable. Son personnage évolue plus lentement que ses filles, mais une fois ses yeux dessillés, elle ne peut plus accepter aveuglément comme avant. Comme les autres femmes.
Et si la fin n’en est pas vraiment une – peut-il en être autrement ? – les dernières images – authentiques là encore – nous permettent d’espérer.
Vraiment ?
PS : a priori, il n’y a pas que moi qui ai vu une référence à Shining…
- Qui malheureusement se poursuit…
- Un pouvoir qui est remis en question par la rue est naturellement vacillant…
- On peut déplacer cet adjectif dans la phrase…
- Avec adresse, etc.