« Le ciel au-dessus de Berlin ».
Telle est une traduction possible du titre original. Et dans ce ciel berlinois, il y a des anges. Bien sûr, ils ont des ailes, mais on ne les voit pas vraiment. Ils ont une armure aussi, mais ça, c’est une autre (partie de l’) histoire.
Ils vivent en noir et blanc, véritables esprits visibles seulement par les enfants : normal, ils y croient, eux.
Parmi eux, Damiel (Bruno Ganz), en qui s’opère un changement : il veut vivre. Echanger son immortalité contre une tasse de café, ou croquer une pomme, et pourquoi pas l’amour…
Parce que l’immortalité est grise, sans goût, sans couleur. Et surtout, elle est solitaire.
C’est beau. Et même très beau. Ces anges sont la mémoire de Berlin, comme le montre la première de rencontre de Damiel avec Cassiel (Otto Sander). Mais ils sont aussi un soutien pour les humains qu’ils voient vivre. Et mourir. Un soutien et un réconfort subit, comme le confirment les voix intérieures de ceux sur lesquels ils se penchent.
Et Wim Wenders illustre magnifiquement leur présence par des images tournées en noir et blanc. C’est à travers les yeux de ces êtres surnaturels que nous voyons cette ville et ses habitants, avec quelques incursions colorées quand la caméra s’en éloigne ou qu’ils ne sont plus là.
Et progressivement, la couleur va envahir le film, prenant la place du noir et blanc à mesure que l’intrigue se dénoue. Le noir et blanc devenant alors sporadique, avec un Cassiel seul. Désespérément seul.
Et puis il y a Peter Falk. Dans (presque) son propre rôle. Bien sûr, tous les gens autour de lui l’identifient à Columbo. Mais il n’en a cure : il est ici pour tourner un film. Et quel film : on y trouve des soldats allemands (SS ?), des réfugiés juifs, un jeune hitlérien… Le tout dans Berlin ! Et encore une fois, ce n’est pas gratuit : en plus des anges, les images conservent la mémoire de la ville. Outre ce film en tournage, Wenders insère des images d’actualités (anciennes) de Berlin ravagé en mai et juin 1945, sans occulter les morts, même (surtout ?) les enfants.
Et Peter Falk, sorte de guest star sur ce film n’en est pas moins un personnage capital. Il est l’instrument du Destin, celui qui va permettre à Damiel de se jeter à l’eau. Son passage d’un monde à l’autre est d’ailleurs magnifiquement montré : il se situe dans le no man’s land entre les deux parties de Berlin. Mais un no man’s land étonnant : blanc. Il a bien sûr ses soldats, mais comme les anges sont invisibles…
[NB : Des éléments de résolution de l’intrigue vont suivre. Soit vous passez votre chemin jusqu’à ce que vous ayez vu le film, soit vous continuez.]
Sauf pour les enfants (voir plus haut).
Et les enfants sont un autre élément primordial dans cette intrigue un tantinet fantastique. Dès les premiers plans, Wenders nous les montre. Certains vont même jusqu’à leur parler. On pense tout de suite à ces (très) jeunes enfants qui « sourient aux anges ». Ce sont aussi eux qui vont accueillir (malgré eux) Damiel une fois qu’il a renoncé au ciel.
Certains ont vu dans Damiel une allégorie concernant Lucifer, l’Ange déchu. Mais s’il y a un Lucifer dans cette histoire, c’est bel et bien Peter Falk qui l’incarne.
Ancien ange, c’est lui qui encourage Damiel à franchir le pas, lui vantant les mérites de la vraie vie et ses sensations. Mais une fois le choix entériné, Damiel se rend compte qu’il n’aura rien de plus que ce qu’il vit. Les (fausses) promesses de révélation qu’il lui a fait miroiter vont rester lettre morte : pour deux raisons : Peter Falk doit tourner une scène, et de toute façon il lui dit qu’il doit faire sa propre expérience. Damiel est tombé dans son piège. Mais heureusement, sa vie est belle.
La raison pour laquelle j’identifie aisément Falk à Satan, c’est surtout parce qu’il va sortir le même baratin à Cassiel, qui ne va pas rentrer dans son jeu.
Cassiel est l’autre ange pertinent de cette histoire. Alors que nous voyons souvent Damiel sourire quand les choses se passent bien, ou qu’un enfant le regarde, Cassiel, lui, ne soutit jamais. De plus, il a hérité de personnages peu comiques. Entre Homère (Curt Bois) et le jeune homme en haut de l’immeuble, peu d’occasion de se réjouir.
Mais surtout, c’est sa solitude qui frappe. Alors que Damiel est prêt (et passe à l’acte) à vivre, lui ne tombe pas dans le piège satanique. Mais On sent que cette solitude – assumée – lui pèse, comme montré pendant le concert de Nick Cave (Nick Cave).
Je terminerai en disant que c’est l’immense Henri Alekan qui assure les images – pas le premier venu – et qu’il donne même son nom au cirque dans lequel évolue la belle (et regrettée) Marion (Solveig Dommartin).Son travail est absolument admirable, comme souligné dans la version (restaurée) que j’ai visionnée.
PS : on notera la présence de Laurent Petitgand dans le rôle du chef d’orchestre du cirque. C’est lui qui a composé la musique originale, très pertinente. Autre interprète inattendu : Chick « Facteur » Ortega, qui s’appelait alors Chico Rojo Ortega.