Les Wells sont une famille de fermiers du Connecticut à qui un vague cousin éloigné de la mère Abigail (Anne Revere) écrit : il propose à l’une des filles de la maison de venir passer quelques temps en leur demeure (château) de Dragonwyck (New York). Après quelques tergiversations du père Ephraim (Walter Huston), Miranda s’en va rejoindre le mystérieux et séduisant Nicholas van Ryn (Vincent Price).
Si la demeure est somptueuse, l’atmosphère qui y règne est fort étrange et surtout : on y entend, les veilles de malheur, le clavecin et la voix de l’aïeule Azilde van Ryn.
La première fois, c’est quand Johanna (Vivienne Osborne), la femme de Nicholas meurt dans des circonstances mystérieuses…
Bien sûr, ce film est avant tout la première réalisation de Joseph Mankiewicz, après une quinzaine d’années en tant que scénariste, il était temps qu’il prenne son envol. Son dernier scénario – avant de passer de l’autre côté de la caméra – est Les Clefs du royaume et on en retrouve d’ailleurs deux interprètes, et pas des moindres : Vincent Price et Anne Revere. Autre lien avec ce précédent film, c’est Gregory Peck qui aurait dû interpréter le rôle de Nicholas van Ryn (1).
La première particularité de ce film un tantinet gothique, c’est la présence de Gene Tierney autour de qui se construit l’intrigue et qui donne le point de vue narratif quasiment exclusif : c’est avant tout son ressentiment que nous suivons pendant ces quelques cent minutes. Mais à la différence des films de genre qui suivront, Miranda n’est pas une de ces frêles jeunes filles qui sont la cible de méchants résolus et extrêmement dangereux. Parce que Nicholas est dangereux. Et ce n’est pas seulement parce qu’il s’agit de Vincent Price. En effet, quand sort le film, l’acteur n’a pas encore l’étiquette que nous lui connaissons. Rappelez-vous que dans le film susmentionné, il est un évêque, ami indéfectible du personnage interprété par Gregory Peck.
En effet, Price est encore un acteur peu connu (2), et son jeu subtil et ses manières élégantes en font un personnage des plus sophistiqués. Mais dès sa première apparition se produit un malaise qui ne nous quittera qu’une fois l’intrigue (presque) résolue. On apprécie ses manières des plus éduquées mais on ne peut s’empêcher des ressentir un malaise par rapport à lui. Et si Miranda succombe à son charme – irrésistible – elle ne peut s’interroger sur le lieu qu’elle vient de rejoindre et surtout ses habitants : entre Katrine (Connie Marshall), la fille de ces parents étranges qui ne s’aiment pas et Magda (Spring Byington), la gouvernante qui parle trop et qui amène les bonnes réflexions, il y a de quoi se demander où on est tombé.
Et Gene Tierney est magnifique (comme toujours, non ?) dans ce rôle, où son apparence n’est pas sa seule arme : elle interprète une formidable Miranda, une paysanne loin d’être arriérée – comme le conçoivent les jeunes femmes du « beau monde » et qui se révèle être plus subtil que prévu.
Il y a une évolution (rapide) de son personnage qui est à l’origine une jeune femme innocente et prête à tout pour vivre autre chose. Elle est tout d’abord une jeune fille naïve élevée dans la religion, religion qui tient une place très importante chez les Wells (Ephraim est pasteur). Elle va d’ailleurs en garder les habitudes tout au long du film, recourant à la bible dès que nécessaire, à l’encontre des croyances (3) de son mari, ou plutôt de ses non croyances. C’est d’ailleurs la révélation de son athéisme qui va faire basculer l’intrigue, créant un fossé infranchissable entre ceux qui furent de formidables amants.
Mais c’est la mère – Anne Revere – qui a raison dans toute cette histoire : on n’épouse pas un rêve.
Il n’empêche, avec ce premier film, Mankiewicz démontre qu’il ne sait pas seulement écrire de bons scénarios. Il sait aussi les mettre en scène, créant avec beaucoup maîtrise un thriller haletant aux accents gothiques : la séquence quand Miranda monte dans la « tour » de Nicholas est absolument superbe, éclairée avec beaucoup de brio par Fred Sersen, dans le style des productions allemandes d’avant 1933.
Bref, un grand premier film.
- Le y se prononce « aille ».
- On le retrouvera quelques années plus tard (1950) toujours au deuxième plan dans le formidable All about Eve du même Mankiewicz.