Mexique, 1913.
Juan Miranda (Rod Steiger) est un truand à la petite semaine. Avec ses six fils, son père et quelques complices, il rançonne les voyageurs – riches.
Juan est un Mexicain plutôt inculte, qui essaie de faire son chemin dans un pays ravagé par la révolution depuis deux ans.
Mais Juan a un grand projet dans la vie : attaquer la banque de Mesa Verde.
Alors quand il rencontre Sean « John » Mallory (James Coburn), ex-révolutionnaire irlandais (membre de l’IRA, même si le soulèvement n’aura lieu qu’en 1916) et accessoirement spécialiste en explosifs, il sent que son rêve va se réaliser.
Mais la révolution s’en mêle (s’emmêle ?), et Juan est emporté par l’Histoire en marche.
Deuxième volet de l’histoire de l’Amérique de Sergio Leone, c’est certainement le plus drôle, mais avant tout le plus violent et meurtrier. Les révolutionnaires et les soldats loyalistes y sont fusillés à tour de bras dans une révolution qui, selon Juan, ne va pas changer grand-chose : les intellectuels enverront les pauvres se battre pour faire changer les choses, mais à la fin, les intellectuels seront toujours là, et les pauvres, eux, seront morts… Une pensée réductrice peut-être, mais ô combien prémonitoire dans l’histoire qui nous intéresse ici.
La première séquence donne le ton. D’un côté, on trouve ces riches américains dans une diligence luxueuse à qui on impose un péon crasseux, un va-nu-pied inculte, bref, un homme de l’autre côté de la barrière sociale. Ce ne sont que gloses bourrées de préjugés racistes par ces gens « de bien » (dont un évêque) face à cet homme humble, portant brassard de deuil.
C’est donc un duel qui se joue devant nous : les plans se font très rapprochés sur les visages, les yeux, et les bouches qui mangent, qui parlent et même qui parlent en mangeant. D’un côté ce déluge verbal condescendant, de l’autre un homme pauvre, sale et muet. Mais comme dans tous les duels, il faut qu’il y ait un vainqueur. Et c’est le pauvre qui gagne.
Cette première séquence anticipe magnifiquement le besoin de révolution du peuple mexicain opprimé par ces nantis qui les considèrent comme du bétail, voire pire.
Trois ans après Il était une fois dans l’Ouest, Sergio Leone reprend le thème du temps qui passe et que certains voudraient fuir, mais qui, inexorablement les rattrape. C’est le cas de Mallory, terroriste recherché par la police britannique pour ses activités violentes, et obligé de fuir après avoir été dénoncé par son meilleur ami (David Warbeck). Dès lors, persona non grata chez lui, il va faire la révolution là où elle se trouve. Et à chaque moment-clef du film, un détail lui rappelle ses années à Dublin, comment l’insurrection se préparait…
Ces flashbacks répétés rappellent ceux de Pour quelques Dollars de plus et Il était une fois dan l’Ouest. Mais ici, ce n’est pas une scène qui se répète, mais plutôt une vie qui défile, celle d’avant. Elle progresse et nous renseigne petit à petit sur ce personnage qui débarque de nulle part (lui aussi), jaillissant d’un nuage de fumée sur sa moto.
Mallory est avant tout une apparition. Il est présent, mais on sent qu’il est déjà mort. Qu’il est mort quand il a dû quitter son pays. Il apparaît après une explosion : c’est d’abord une silhouette dans une grande gabardine (comme les hommes du Cheyenne). Puis c’est une paire d’yeux bleus à travers des lunettes. Enfin, c’est un grand homme moustachu, grisonnant, au flegme absolument britannique.
Mallory ressemble à un croisement de Mortimer (Lee van Cleef) et Joe (Clint Eastwood) dans Pour quelques Dollars de plus : le maintien de Mortimer, et l’efficacité de Joe. Et comme tout bon héros de Leone, il est avare en paroles. Ses interventions sont courtes, son regard plus qu’éloquent.
Il repart comme il est arrivé, dans une magnifique explosion.
L’autre personnage du film est Juan Miranda. Il possède les mêmes caractéristiques que Tuco (Eli Wallach) dans Le Bon, la brute et le truand, la violence inhérente au personnage en moins. Mais ce serait un Tuco qui aurait grandi, qui aurait mûri : Miranda, malgré son aspect abruti (« duck, you sucker ! »), est responsable de sa famille (enfants et père), et quand il arrive quelque chose à l’un d’entre eux, il n’en est que plus chagriné. Et son chagrin est sincère, magnifiquement rendu par Rod Steiger, plus mexicain que jamais.
Et Miranda résume très bien (voir plus haut) la vision de cette révolution décrite par Leone : une boucherie sans nom, et à la fin, rien n’a vraiment changé et les pauvres sont morts.
Mais cette révolution sera autrement plus cruelle pour Miranda, embarqué dans cette aventure, véritable héros malgré lui.
Car quand la révolution se termine (ou au moins cet épisode), il se retrouve seul : Sean n’est plus là, et ses enfants sont morts.
Quel prix à payer pour une gloire, somme toute, relative…