Argentine, 1985.
Voilà près de deux ans que le pays est redevenu une démocratie quand la police déboule dans la maison des Puccio, à la recherche d’une femme (âgée) enlevée. Le fils, Alejandro (Peter Lanzani) est arrêté, ainsi que ses sœurs et sa mère. Alejandro, c’est une star en Argentine : joueur de rugby doué, il fait partie de la sélection nationale (les Pumas), et est célébré à chaque apparition publique.
Seulement voilà : son père, c’est Arquímedes Puccio (Guillermo Francella), qui fut membre des services de renseignements de la junte, et accessoirement un truand de grande envergure, couvert par cette même junte. Et Alejandro a longtemps participé aux exactions de son père. Et l’enlèvement de la vieille femme, c’est celui de trop : le pays a changé et Arquímedes n’a pas voulu le croire.
Lui qui a toujours tout fait pour sa famille va donc achever son œuvre en la détruisant complètement.
Nous sommes trente ans après les faits (1), et Pablo Trapero nous livre ici un tableau sans concession des dernières années de la junte de Galtieri & consorts, à travers un personnage redoutable : Arquímedes Puccio. Sous couvert d’activités gouvernementales, il n’est rien d’autre qu’un parrain qu’on qualifierait de mafieux s’il était sicilien, se conduisant peu différemment de Don Corleone : seule sa participation effective lors de chaque enlèvement n’en fait pas seulement un PDG du crime organisé. Mais c’est d’ailleurs cette participation active qui amènera sa perte, puisqu’il sera (facilement) identifié par les services de police du nouveau gouvernement.
Mais cette police pose tout de même question : à l’instar du vieux gangster, il semble que beaucoup de personnes sont restées aux mêmes postes lors de la transition démocratique. Le « commodore » (Miguel Ángel Lembo) qui a couvert si longtemps les exactions est toujours là, même si son influence a beaucoup diminué. Et l’entrevue d’Arquímedes avec un autre profiteur/criminel de la junte qui a été arrêté montre bien l’état d’esprit de ces profiteurs : ils sont convaincus que ce n’est qu’une passade et que tout redeviendra comme avant (c'est-à-dire une nouvelle junte). Trente ans plus tard, on ne peut que se réjouir qu’ils avaient tort.
On ne peut que louer le travail de Pablo Trapero qui revient sur une période (très) sombre de l’histoire de son pays. Et c’est un film qui lui a tenu à cœur : outre la réalisation et la production, il a participé au scénario et au montage. Et le résultat est là : le public argentin ne s’y est pas trompé et lui a fait un triomphe. Mérité de mon point de vue. Outre la description de ce criminel faussement politique – malgré ses appuis haut placés, Puccio n’est rien d’autre qu’une crapule – c’est aussi la réalité de ce pays prisonnier d’un système répressif où les enlèvements étaient monnaie courante : pour des raisons politiques au début (opposants), puis pour des raisons financières ensuite (quand il n’y a plus d’opposition, on cherche une nouvelle cible).
Et le système bien huilé de Puccio en est l’illustration parfaite : la Guerre des Malouines est l’événement qui fait basculer Puccio dans ce qu’on appelle le banditisme. Mais s’il se met à son compte, il utilise une technique bien rôdée et qui a fait ses preuves : celle qu’il a mise au point pendant les premières années de la junte. Et les alibis politiques qu’il donne aux familles de ses victimes passent d’autant plus facilement qu’ils sont certainement identiques à ceux qu’il utilisait quand il était partie prenante du système.
Si Trapero conduit son film de main de maître, il s’appuie sur une distribution solide, et en particulier sur le jeu de Guillermo Francella, acteur plutôt spécialisé dans la comédie. Son regard clair et froid donne plus de poids à son personnage : à chacun des plans rapprochés on ne voit que ses yeux qui lui donnent un aspect encore plus inquiétant. Et à ses côtés, Peter Lanzani interprète lui aussi avec beaucoup de justesse son fils, un être complètement construit par son père, tiraillé entre son rester de morale et son amour filial. Parce que la place de la famille reste centrale dans cette histoire, et c’est certainement ce qui a amené Pedro Almodovar (et son frère Agustín) à la production du film.
Les exactions du père sont connues de tous et créent une tension qui augmente avec le temps. Deux solutions sont offertes aux différents membres : collaborer (activement en participant ou passivement en se taisant) ou fuir. C’est ce deuxième choix que vont faire le benjamin Guillermo (Franco Masini) et le fils cadet Maguila (Gastón Cocchiarale). Si le premier réussit à s’en sortir, le second cède et revient dans le giron familial, avec ce que cela implique.
- Cette histoire terrible est malheureusement vraie.