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Le Monde de Djayesse

Le Monde de Djayesse

Un peu de tout : du cinéma (beaucoup), de l'actu (un peu) et toute cette sorte de choses [A bit of everythying: cinema (a lot), news (a little) and all this kind of things]

Publié le par Djayesse
Elephant Man (David Lynch, 1980)

« Je ne suis pas un éléphant. Je ne suis pas un animal. Je suis un être humain. Je suis un homme. » Il s’effondre.

 

C’est, avec quelques autres, l’une des répliques les plus célèbres du cinéma.

Et celui qui la prononce est le « monstre » le plus connu (ou presque) depuis la disparition de Lon Chaney (26-8-1930).

En effet, une fois le grand acteur mort, Tod Browning se tourna vers de véritables phénomènes de foires pour raconter des histoires d’êtres difformes.

Pourquoi une telle digression ? Tout simplement parce que sans Freaks, nous n’aurions peut-être pas eu un aussi bel Elephant Man.

Parce que ce film est d’une beauté phénoménale. David Lynch – avec le cinéma duquel j’ai un peu de mal – nous offre ici une magnifique histoire dans un noir et blanc somptueux, avec des interprètes à la hauteur : John Hurt, bien sûr, mais aussi Anthony Hopkins (qui n’est pas un encore autre monstre dont le prénom rappelle le passage des Alpes par de vrais éléphants), Freddie Jones, pour les hommes ; la toujours belle Anne « Robinson » Bancroft, et l’incomparable Wendy Hiller pour les femmes.

 

C’est un régal visuel absolu que l’histoire de ce pauvre John – en vrai Joseph – Merrick (John Hurt), cantonné à un rôle de phénomène de foire comme on en visitait beaucoup aux XVIIIème et XIXème siècles, quand ce n’étaient pas des cabinets de curiosité*.

Ce John Merrick est un personnage extraordinaire, dans tous les sens du terme. En effet, non seulement il possède un physique difforme (pire que ce que pouvait interpréter le grand Lon) mais en plus, et c’est en cela que le film est merveilleux, il possède un esprit affuté, sait lire et écrire et exprimer ses sentiments*.

 

Ca commence presque par hasard. Le docteur Frederick Treves (Anthony Hopkins) traîne dans une foire et remarque la présence du fameux Elephant Man, interdit parce que trop choquant. On découvre alors un homme contrefait exploité par  Bytes (Freddie Jones), qui se comporte avec lui tour à tour comme un bourreau (la plupart du temps, tout de même) ou comme un être aimant. C’est du moins ce qui transparaît dans l’interprétation de Jones.

 

Mais la rencontre de Treves et Merrick, c’est avant tout une émotion : celle d’un jeune docteur pour un patient prometteur, mais en même temps pitoyable. Treves n’a pas le regard voyeur qui était de mise par rapport à tous ces pauvres bougres marqués par la vie et les aléas de la naissance. Il y a l’empathie médicale avant tout, ainsi qu’une humanité fort rare pour l’époque. Une larme s’échappe de son œil. [Il y aura une autre larme, qui s’échappera de celle de Merrick, plus tard]

 

Alors certes, Merrick est une curiosité dont l’impact ne peut qu’être bénéfique pour un jeune praticien. Mais, et c’est là qu’est l’art de Lynch, jamais il ne nous présente Treves ainsi. Il y a chez Treves Hopkins une sympathie contagieuse qui passe par les deux piliers du dispensaire où il officie : Mrs. Motherhead, véritable intendante de l’hôpital et surtout Mr. Carr Gomm (John Gielgud, toujours aussi extraordinairement ordinaire), le grand patron. Grand dans la position mais aussi dans l’attitude.

 

Si les personnages nobles sont clairement identifiés, il n’en va pas de même de Bytes, estampillé (trop) rapidement « méchant ». Certes, les traitements qu’il inflige à son « protégé » ne sont pas ce qu’on peut appeler des soins. Mais il y a, au moins dans la première partie, une espèce de sympathie qui transparaît (voir plus haut) dans sa relation à Merrick. Mais le temps, et surtout l’alcool l’éloigne et le transforme en véritable monstre, tout comme le veilleur de nuit de l’hôpital (Michael Ephick).
Mais malgré sa méchanceté flagrante, son analyse de la situation n’est pas sans intérêt : en présentant Merrick au grand monde, ne fait-il pas la même chose que Bytes, les coups et l’argent en moins ?

 

Avec Bytes, c’est aussi l’occasion de retourner dans le monde des monstres, les mêmes que dans Freaks (ou presque), mais qui ont autant d’humanité que leurs prédécesseurs, menés par le regretté Kenny « R2D2 » Baker.

 

Et puis il y a la femme qui fait changer les choses : Mrs. Kendall (Anne Bancroft). C’est une actrice, et surtout celle qui amène Merrick à la vie. Leur duo de Roméo & Juliette est émouvant au possible, cette femme voyant au-delà de ce que représente Merrick physiquement. Il y a alors une générosité chez cette femme qui fait oublier n’importe quelle pensée, fût-elle intéressée à propos de John Merrick dans le monde.

Comme je le disais, cette femme apporte réellement la vie dans l’existence de John. Et la représentation à laquelle ce dernier assiste (la première, mais aussi la dernière) est un feu d’artifice d’images et d’émotions. On se croirait revenu au cinéma de Méliès tant les artifices du théâtre rappellent ceux du grand maître. C’est un autre grand moment du film, avec en plus une belle subtilité : la princesse Alexandra (Helen Ryan) prête à John des jumelles de théâtre. Et pour la seule fois, nous verrons John  les utiliser et, à son tour, regarder les gens, comme s‘ils étaient un spectacle qui lui était proposé. Et c’est là que Merrick prend sa revanche sur ceux qui l’ont considéré (à tord, bien sûr) comme un animal : il est un homme, et il jouira de toutes ces choses qui font un être humain ce qu’il est, et non un animal.

Bien sûr, cette humanité totale (il se couche comme tout le monde) a un prix. Mais de toute façon, il n’aurait pas survécu bien longtemps, alors…

 

Je n’aime pas spécialement le cinéma de David Lynch, c’est un fait. Mais tout de même : d’une situation qui, si elle n’est pas banale, est tout de même ordinaire, Lynch arrive à en tirer quelque chose d’extraordinaire. Et même si ce film est avant tout une commande**, il ne fait aucun doute de la virtuosité de ce monsieur.

 

Car en fin de compte, avant le film de Lynch, qui se souvenait de John Merrick, l’Elephant man ?

 

 

* Ce qui est encore plus extraordinaire dans une Angleterre victorienne où la dissimulation était la règle commune (« keep a stiff upper lip! »).

John Merrick & Frederick Treves

John Merrick & Frederick Treves

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