Depuis Méliès, le cinéma a de nombreuses fois utilisé un ou plusieurs doubles dans les films. Et la plupart du temps, c’est en développant les quiproquos inhérents au genre : on prend le double pour l’autre et inversement, amenant une série de situations comiques dont l’une des plus belles illustrations est peut-être Multiplicity (Harold Ramis, 1996).
A son tour, Denis Villeneuve s’essaie au genre, mais dans une toute autre dimension : à aucun moment, le spectateur n’est amené à rire, et surtout, l’atmosphère est assez angoissante.
Adam Bell (Jake Gyllenhaal) est un professeur d’histoire à l’université de Toronto. Il partage un appartement modeste avec Mary (Mélanie Laurent) et répète à l’envi les mêmes gestes, les mêmes attitudes, chaque jour.
Jusqu’au moment où on lui propose de voir un film pour se changer les idées. Dans ce film, l’un des acteurs « de troisième » ordre retient son attention : c’est un véritable sosie d’Adam.
Ce dernier va alors essayer d’entrer en contact avec ce double étonnant, et qui le sera d’autant plus quand ils se seront rencontrés.
2013 est une année faste pour Denis Villeneuve car ce film est présenté un peu plus d’une semaine après le précédent (Prisoners – avec pour interprète principal encore une fois Jake Gyllenhaal.
Et Villeneuve prend son temps. La première séquence voit Jake dans son environnement : il fait cours à ses élèves à propos de la dictature et du contrôle indispensable qu’elle implique dans la société, il rentre chez lui et fait l’amour à sa femme, qui s’en va… C’est ainsi inlassablement.
Tout est alors prêt pour que l’intrigue se déroule : Adam a une vie bien réglée, et il faut une intervention extérieure pour le détourner de son train-train. Une question : es-tu cinéphile ? Et cette question amène un titre de film, et le titre fait se retourner Adam quand il passe devant un vidéo store.
Ce film – l’improbable When there is a Will there is a way – est le déclencheur de toute la suite du film. Son titre est d’une pertinence incroyable et de plus en totale relation avec le cours qu’Adam a donné plus tôt : et comme si le titre ne suffisait pas pour alerter Adam, il croit s’apercevoir dans un coin de l’écran.
SI le début était morne et répétitif, la suite va alors faire naître une angoisse chez Adam, angoisse qui va se propager auprès du spectateur.
L’atmosphère qui n’était pas très réjouissante jusque là devient de plus en plus oppressante à mesure qu’Adam s’enfonce dans la recherche de ce double étonnant : même aspect, même voix. Et plus on avance avec lui, plus les détails deviennent troublants. Non seulement ils se ressemblent, mais en plus, leurs compagnes sont sur le même modèle à une différence notable : celle de l’autre (Anthony) est enceinte.
De plus, certains plans s’interpellent à longueur de film, décrivant les mêmes gestes dans différentes situation : Adam marchant dans le couloir est le plus bel exemple. CE couloir d’ailleurs revient très souvent, que ce soit dans les rêves ou dans la vraie vie.
Encore une fois, Villeneuve nous propose un film magistral
[Pause. Les lignes qui vont suivre vont révéler une grande partie de l’intrigue. Je vous conseille donc de revenir quand vous l’aurez vu si ce n’est encore le cas. Pour les autres, on continue. Fin de la pause.]
Vous êtres toujours là ? Je continue.
Alors que nous suivons la progression d’Adam, le point de vue va se mettre à changer. Adam ayant pris contact avec Anthony, nous allons passer de son côté. Bien sûr, rapidement, lui aussi va être intrigué. La rencontre est alors inévitable et révèle des points communs qui vont au-delà du troublant. Comment deux personnes qui se ressemblent et ont la même voix peuvent-elles avoir le même détail anatomique (une cicatrice sur le torse) ?
La réponse est trop simple pour être acceptée par le spectateur à ce moment-là. Mais plus le film va avancer et plus les hypothèses vont disparaître : Adam et Anthony ne forment qu’une seule et même personne.
Et cette quête du double n’est rien d’autre qu’une reprise de contrôle de sa vie : Anthony est une projection d’Adam, ou plutôt celui qu’il azurait aimé être avant de lâcher le cinéma pour l’Histoire. Anthony/Adam était acteur certes, mais de « troisième zone » comme dit sa mère (Isabella Rossellini), qui soutient par ailleurs qu’elle n’a eu qu’un seul enfant : Adam. Anthony est alors l’acteur qu’il aurait aimé être, mais qui n’a pas dépassé le stade des utilités : il suffit de voir son cv pour en être convaincu.
Et cette projection va jusqu’à sa compagne : tout comme il y a deux Adam, il y a deux femmes : la vraie (Helen) et le fantasme (Mélanie Laurent).
Dans la volonté de reprendre le contrôle sur sa vie, l’interaction entre les partenaires opposés prend tout son sens : Anthony a une aventure avec Mary pendant qu’Adam remplace ce dernier auprès d’Helen.
L’épilogue de cet échange amoureux est alors le véritable indicateur du contrôle d’Adam sur sa vie : non seulement les amants se tuent dans un accident de la route, mais au réveil, quand la radio annonce cet accident, Adam l’éteint.
Cette histoire est terminée, Adam va reprendre sa place auprès d’Helen.
Mais…