Voilà bientôt 40 ans que ce film singulier est sorti. Singulier parce que, comme le dit lui-même Paul Verhoeven, « c'était un film européen qui essayait d'être américain. Et ça n'a pas marché : il n'est finalement ni américain ni européen. »
Et si ce film a été oublié et surtout éclipsé par la sortie deux ans plus tard de Robocop, n’oublions pas qu’il fut avant tout un échec commercial.
Pourtant…
1501. Voilà bientôt un demi-siècle que Constantinople est redevenu Istanbul et que la Guerre de Cent ans est terminée, et une nouvelle ère s’ouvre aux Européens, basée sur l’Humanisme et le savoir, incarnés par Steven (Tom Burlinson), fils du seigneur Arnolfini (Fernando Hillbeck) (1).
Ce seigneur, quand débute le film, essaie de regagner son fief et assiège sa capitale. Il est aidé de mercenaires farouches avec parmi eux Martin (Rutger « Roy » Hauer), contre un large butin une fois le combat terminé. Mais une fois la ville reprise, Arnolfini revient sur sa parole et chasse cette horde qui n’a plus qu’une idée en tête : se venger de ce félon.
La venue de la jeune Agnes (Jennifer Jason Leigh) va lui permettre d’assouvir une partie de cette vengeance.
De la chair et du sang : le titre est tout un programme qui va se dérouler pendant deux heures, alternant les scènes de combat et de repos, avec en prime une sensualité plutôt débridée, puisque peu d’actrices ne montrent pas leur poitrine… Mais réduire ce film à une série de coucheries serait une grave erreur, car Paul Verhoeven, dans ce film qui ne ressemble donc à rien (de connu), nous dresse un tableau de cette époque charnière qui coïncide à l’extinction d’une époque – le Moyen-Âge – et l’avènement d’une autre – la Renaissance. Mais l’ère médiévale a la vie dure et il faut du temps pour que de nouvelles idées s’imposent : en médecine comme en religion, ainsi que dans « l’art de la guerre » (2).
C’est donc spectaculaire et porté par une distribution (très) internationale ce qui ne facilite pas le tournage : Verhoeven, tout comme Hauer est néerlandais, Leigh et d’autres sont américains, Hillbeck espagnol, Burlinson Australien… Mais malgré tout, le film se tient et on suit avec intérêt cette histoire d’amour (il y en a une, très compliquée) mâtinée de chevalerie. Enfin chevalerie cinématographique : ne vous attendez pas à voir Arthur et ses compagnons de la Table Ronde. Ils n’ont de chevalier que la tenue vestimentaire, parce que pour ce qui est de l’aspect « chevaleresque », c’est plutôt barbare et compagnie. Ca tue, ça viole, ça boit… Bref, nous sommes bien loin de Chrétien de Troyes.
Et l’habileté de Verhoeven, c’est de réussir à recréer une époque – d’une certaine manière – sans toutefois trop la marquer. Les lieux choisis sont assez anonymes – sauf le château de Belmonte – et reflètent d’une certaine façon l’Europe médiévale, avec ses grandes étendues désertées, où pousse de temps en temps un château.
Quant aux trouvailles de Steven, si elles s’inspirent de techniques véritables, on a le droit d’être tout de même dubitatif quant à leur réalisation, et en particulier sa tour d’assaut télescopique !
Qu’importe, nous sommes au cinéma et tout est permis, même ceci !
Par contre, là où, à mon avis, le bât blesse, c’est le personnage de Martin. Non pas Rutger Hauer qui est encore une fois impeccable, mais bel et bien celui qu’il interprète. On dirait que Verhoeven n’arrive pas à se décider quant à la véritable position de ce mercenaire : tantôt bon, tantôt beaucoup moins, il n’en demeure pas moins très attiré par la jeune Agnes. Et s’il se bat à l’ancienne, il n’est pas contre le fait d’essayer de nouvelles techniques. Lui aussi (3).
Nous suivons donc Martin et sa bande (lui en priorité) mais il n’est jamais montré comme le « héros » de l’histoire. Tout comme Agnes qui est la jeune fille pure (au début) mais n’a pas un rôle très manichéen comme on en a l’habitude dans les films de chevalerie. Certes, elle est la véritable héroïne de cette intrigue mais son positionnement ambigu – comme celui de Martin – a tendance à nous empêcher d’apprécier pleinement ce film. Et il manque à la résolution finale un petit quelque chose qui aurait très certainement plus conquis le public : un duel d’explication entre Martin et un de ses adversaires.
Nous ne l’avons pas. Tant pis.
Mais quoi qu’il en soit, on ressort satisfait de cette épopée semi-médiévale, grâce surtout à l’interprétation et je terminerai en m’attardant sur le personnage du Cardinal (Ronald « Toht » Lacey), autre élément de son époque. Il est clerc et rempli de superstition, n’hésitant pas à occire ceux qui ne sont pas d’accord avec lui ! Bref, un drôle de paroissien qui suit Martin parce qu’il croit y voir « des signes ». Mais le temps n’est plus aux signes ni à la superstition : la raison est en train de s’installer et des gens comme lui sont appelés à disparaître… Mais pas complètement !
- Doit-on voir dans ce patronyme un clin d’œil au couple qui s’est marié chez Van Eyck, symbole pictural de la Renaissance ? (cf. National Gallery, Londres)
- Un jour, il faudra m’expliquer en quoi la guerre est un art…
- Vous chercherez qui d’autre se « modernise »…