Une histoire d’amour dans une famille aisée avec Gloria Swanson : ça ne peut être que de Cecil B. DeMille. Il s’agit d’ailleurs de leur deuxième collaboration et, à mon avis, de l’une des meilleures.
Si l’intrigue se situe dans la haute société, ce n’est pourtant pas la fortune qui est le thème principal, mais plutôt la BONNE fortune.
Nous sommes en 1916 et les jeunes Américains sont appelés à combattre les « Huns (1) » en France. Parmi eux, deux amis : Edward « Ned » Meadle (Elliott Dexter) et Richard « Dick » Burton (Tom Forman). Mais si Dick part le cœur léger, il n’en va pas de même pour Ned, que son chef de service (Theodore Roberts, vieux complice de DeMille) – il travaille dans une clinique pour enfants) rappelle à son premier devoir : sauver les enfants d’abord. C’est le cœur serré que Ned va rester, d’autant plus que sa fiancée Sylvia (Gloria Swanson, donc) se détourne de lui. Pis que cela : elle épouse Dick, au grand dam de Betty (Sylvia Ashton), perdue d’amour pour le beau Dick.
Mais alors la guerre rapproche Sylvia et Ned, tandis que Dick, défiguré et manchot se fait passer pour mort.
Bien entendu, il va revenir réclamer son dû (sa femme qui en aime un autre, son meilleur copain !) : le nœud de l’intrigue.
Mais ce cas de conscience n’arrive qu’à la fin du film et n’a que très peu d’enjeu. Nous savons pertinemment que le film se terminera bien, DeMille n’étant pas un habitué des fins tristes.
Non, le plus important, c’est l’actualité du film. En effet, quand il sort en avril 1919, la guerre n’est pas officiellement terminée (2). Et si les combats sont terminés et que les Américains ont commencé à revenir, les spectateurs qui voient le film à sa sortie se retrouvent, pour certains, dans cette histoire : même si les Etats-Unis sont entrés tardivement dans la guerre, cette dernière leur a tout de même apporté sont lot de victimes, sans parler des veuves et des orphelins. D’ailleurs, Ned va en adopter une : celle (Mae Giraci) que la voiture de Sylvia a écrasée et qui finalement va les réunir.
De plus, le sort de Dick rappelle cruellement celui des « gueules cassées », ces soldats qui revinrent du front après avoir eu une partie du visage arrachée. Mais si le visage de Dick a été bien réparé, c’est avant tout afin de ne pas trop effrayer les spectateurs, et aussi (surtout ?) pour qu’il soit tout de même reconnaissable sur l’écran.
L’actualité du sujet est encore une fois la possibilité pour DeMille de rendre hommage à ceux qui sont partis se battre « pour la civilisation », lui qui fut obligé de rester à Hollywood (il était un petit peu trop vieux) mais qui y organisa tout de même la défense passive (3). Mais si Jeanne d’Arc mettait en avant ceux qui étaient au front, ici, c’est l’arrière qui l’intéresse. En effet, nous avons droit à peu d’images de guerre : la tour où est réfugié Dick qui s’effondre, amenant ses mutilations.
Non, ce sont ceux qui aidaient passivement à l’effort de guerre, ceux qui restaient pour faire fonctionner le pays, en l’occurrence Ned qui est le dernier chirurgien que Sylvia trouve pour sauver les jambes de la petite fille.
Alors bien entendu, on ne retrouve pas l’humour habituel des films du maître, et Theodore Roberts a, cette fois-ci, un rôle honorable sans aucune jeune fille alentour comme ce fut souvent le cas. DeMille garde un ton sérieux sans toutefois tomber dans le poncif.
C’est un magnifique film avec un montage dynamique parsemés de gros plans superbes et pertinents, traitant presque exclusivement des membres (inférieurs et supérieurs) véritables enjeux d’un film de guerre très particuliers.
Un film subtil, servi par une très belle distribution.
PS : bien entendu, on a droit à des petites reconstitutions… On est chez DeMille, ne l’oubliez pas !
- C’est ce qu’annonce un article de journal.
- Le Traité de Versailles entérinant la paix sera signé le 28 juin, soit deux mois après.
- Voir Hollywood: the Pioneers, Episode 7 : Autocrats (Kevin Brownlow & David Gill, 1980)