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Le Monde de Djayesse

Le Monde de Djayesse

Un peu de tout : du cinéma (beaucoup), de l'actu (un peu) et toute cette sorte de choses [A bit of everythying: cinema (a lot), news (a little) and all this kind of things]

Publié le par Djayesse
Publié dans : #Cinéma, #Muet, #John Ford
Les quatre Fils (Four Sons - John Ford, 1928)

Ca commence comme une opérette :

Nous sommes en Bavière, à Burgendorf (littéralement village bourgeois), au pays des culottes de pot et des chapeaux tyroliens.

Un vieil homme en uniforme, la moustache fière, tient dans la main un message. C’est le facteur (Albert Gran), et il apporte une lettre d’Amérique pour Joseph Bernle (James Hall), l’un des quatre fils (d’où le titre) de Frau Bernle (Margaret Mann, magnifique dans le rôle central de la mère).

Frau Bernle a quatre fils : Franz (Francis X. Bushman Jr.) est soldat en garnison au village ; Johann (Charles Morton) est forgeron dans ce même village ; Andreas (George Meeker) – le plus jeune – est pâtre ; Joseph enfin, un oisif qui profite de la vie et des filles…
Comme tous les ans, le village fête l’anniversaire de Frau Bernle.
Et en cette année 1914, elle n’échappe pas à la tradition. C’est ce jour qu’elle aide Joseph à partir s’installer aux Etats-Unis. C’est aussi cet été-là que la guerre est déclarée.

Franz et Johann y vont, la fleur au fusil.

Mais bientôt le facteur, la moustache triste apporte une lettre aux bords noirs : ses deux fils ne reviendront pas.

 

John Ford nous propose ici un film de guerre (la Grande, celle de 14 !). Mais ce film a la particularité de ne montrer aucune scène de bataille. Pourtant, la guerre est présente : sur le front, brièvement, et surtout à l’arrière (brièvement encore) aux Etats-Unis, et la plupart du temps en Allemagne.

Ford prend le contre-pied total des productions habituelles en s’intéressant à la vie d’une famille allemande où la mère, veuve, a élevé ses enfants et vois ses enfants partir au fur et à mesure du temps.

La famille est une composante très importante dans le cinéma fordien. Ici, comme dans d’autres films qui suivront, cette famille va en s’amenuisant, la vie (et surtout la mort) séparant progressivement cette base affective : Les Raisins de la colère, et plus encore Qu’elle était verte ma Vallée.

 

Ce qui ressort le plus, c’est une émotion qui va en grandissant à mesure que la guerre s’intensifie et réclame son lot de morts. Le facteur, instrument du destin tout au long du film, n’est pas sans rappeler Emil Jannings en portier du Grand Hôtel Atlantique (Le dernier des Hommes), avec sa bonhomie et sa joie de vivre. Mais plus le temps passe et moins son allure est fière, les nouvelles qu’il apporte étant essentiellement des avis de décès.

Il faut le voir traverser le village, voûté, la démarche hésitante, arrêté par les villageois espérant que sa lettre ne les concerne pas. Cette démarche devenant de plus en plus lourde, le facteur devient alors une ombre noire qui passe dans le village, lentement, inexorablement.

On retrouvera encore un élément symbolique du basculement dans la tragédie quand le facteur – encore lui – lancera une pierre dans l’eau où se reflète l’église sonnant le glas des enfants morts. L’image se brouille, la tranquillité et la joie ne sont plus de mise.

 

On sent l’influence du cinéma allemand que Ford venait de découvrir dans cette utilisation de l’ombre tout au long du film. En effet, quand les fils de Frau Bernle partent à la guerre pour le Kaiser, elle les bénit étendant sur eux sa main vénérable, créant par là même une ombre sinistre sur leur visage : on sait alors qu’ils ne reviendront pas.
Quant au dernier, c’est dans une atmosphère de brume et d’ombre qu’il mourra, dans les bras de son frère Joseph, lui-même dans l’armée de sa nouvelle patrie.

L’annonce de sa mort amènera une autre grande scène d’émotion, encore une fois amenée par le facteur, et amènera la mère au bord de la folie.

 

Mais malgré cette infinie tristesse qui ressort du film, on est tout de même chez Ford, alors on retrouve le microcosme qui le caractérise et chaque scène émouvante trouve un soupçon d’humour, même dans les moments les plus noirs.

La présentation, rappelant les opérettes de Franz Lehár, nous expose un petit village heureux où tout le monde se connaît, se respecte et où chaque année on fête cette brave Frau Bernle.

Mais si le fils aîné est militaire, c’est l’arrivée d’un nouveau commandant, le major von Stomm (Earle Foxe) qui va amener le changement, car avec lui arrive la guerre dans une séquence d’allégresse qui a pour intertitre : DER TAG* (le jour). Ce jour nous amène une première scène d’adieux : la fleur aux fusils et aux balcons, c’est la joie et l’optimisme. Mais quand ce sera le dernier fils qui partira, les wagons luxueux auront été remplacés par des fourgons à bestiaux où les soldats s’entasseront. Seule la mère sera là et Andreas ne pourra que tendre sa main à travers la lucarne, main qu’elle baisera et que lui-même baisera à son tour au même endroit. Déchirant.


Mais la vie reprend ses droits et on assiste à une dernière séance d’adieux, plus heureuse puisque la mère s’en va en Amérique rejoindre son dernier fils et son petit-fils qui la réclame.

On retrouve alors le microcosme du début qui s’agite pour saluer une dernière fois cette femme admirable : le maire (August Tollaire) qui a préparé un autre long discours que personne n’écoute jamais ; le facteur aux moustaches à nouveau fières ; l’instituteur manchot (Frank Reicher) ; extrêmement fier de son élève et amie ; l’aubergiste truculent (Hughie Mack, qui mourut quelques mois avant la sortie du film) ; et les enfants, indissociables de Frau Bernle, à qui elle offrait du gâteau au miel à son anniversaire…

 

Un grand Ford (encore un !).

 

 

* Cet officier est l’archétype du sale boche. C’est un être violent, irascible et froid. Son attitude abjecte envers Frau Bernle qui a déjà perdu deux fils à la guerre le fait basculer dans le camp des grands méchants militaires et rappelle le grand Erich von Stroheim, dans des rôles similaires, mais le panache en moins, von Stomm est une véritable ordure. Sa fin fait aussi l’objet d’un traitement humoristique (noir) assez réjouissant.

 

PS : comme c’est John Ford, on retrouve Jack Pennick et ses yeux bleu clair, dans un rôle un peu plus important qu’habituellement puisqu’il est même cité au générique.

 

PPS : on retrouvera une même désolation sur Ellis Island – quand Frau Bernle doit y séjourner – dans Le Parrain 2, quand le petit Vito y est retenu.

Les quatre Fils (Four Sons - John Ford, 1928)
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