Mary Shelley est une auteure très célèbre, mais pour une seule œuvre : Frankenstein. C'est Percy, son mari, qui a eu droit à tous les honneurs.
Et pourtant... Si on demande à n'importe quelle personne de citer un titre de Shelley, c'est neuf fois sur dix Frankenstein qui sera nommé. Cette notoriété posthume est très certainement due au film admirable de James Whale.
Comme le rappelle mon cher ami le professeur Allen John, Frankenstein (Colin Clive) est un scientifique, spécialisé dans l'anatomie.
Le sous-titre du roman de Mary Shelley est le Prométhée moderne. En effet, le professeur n'a qu'une seule idée en tête : créer la vie !
N'oublions pas que Prométhée, dans la mythologie grecque, est le titan qui crée l'homme et leur apporte ensuite le feu, les deux éléments significatifs du film : la vie créée par Henry Frankenstein, puis le feu qui détruit son œuvre.
Mais Frankenstein, c'est avant tout la créature. C'est elle qu'on attend, c'est elle qu'on veut voir. Et il faut attendre la toute fin de la première demi-heure pour être satisfait.
Et l'attente est payante. Boris Karloff est époustouflant. Sa stature, le maquillage et sa démarche en font un monstre extraordinaire. On est subjugué et fasciné par une telle apparition.
C'est une créature maléfique, dès le début, nous le savons : Fritz (Dwight Frye) a volé un cerveau dégénéré. Et pourtant...
Si la créature devient monstrueuse, ce n'est pas vraiment de sa faute. Comme on dit, elle le produit de son éducation. Et cette éducation, c'est ce même Fritz qui la fournit : tourmentant sans cesse le monstre, le fouettant ou l'effrayant avec sa torche allumée. Il y a chez Fritz une dose de sadisme assez forte, qui se retournera contre lui. Pas étonnant après, que la créature tourne mal. Exit Fritz.
Il y aura trois victimes. C'est la troisième qui déclenche tout : Maria (Marilyn Harris).
Maria est une petite fille que son papa laisse dans le jardin pour aller travailler. C'est - bien entendu - le moment que choisit le monstre pour arriver. Malgré le destin funeste de cette scène, c'est avant tout celle qui nous montre bien qui est le monstre : la créature n'est rien d'autre qu'un esprit simple dans un corps de colosse. Il n'y a pas de malice naturelle. S'il tue (Fritz ou Waldmann), c'est parce que les contingences l'obligent. Alors Maria n'a pas peur de lui. Au contraire, elle l'invite à jouer avec elle. Lui est heureux. ils lancent des marguerites dans l'eau et les regardent flotter avec ravissement.
Par analogie, le monstre essaie la même chose avec Maria. Mais elle ne flotte pas et se noie. Ce n'est qu'un accident, finalement.
De plus, cette scène terrible (la mort d'un enfant) se déroule alors que dans le même temps le village s'apprête à célébrer le mariage de Henry et sa fiancée (Mae Clarke). L'effervescence et la joie de la célébration à venir laissent progressivement place au silence des grandes tragédies alors que le père de Maria avance dans le village et que les convives découvrent l'horreur...
Après cela, rien d'étonnant que les villageois se mettent en quête de (leur) justice, bien entendu expéditive...
Il y a dans ce film de Whale des réminiscences du Metropolis de Fritz Lang.
Oui, le laboratoire fut très inspiré par celui de Rotwang. Là encore, on crée la vie. Mais c'est dans le générique qu'il faut trouver la première référence : on voit des yeux peints qui tournent en surimpression sur un visage hideux, tels ceux qui observent, subjugués la fausse Maria qui danse. L'autre référence arrive à la fin, quand les villageois, autre foule en furie, ont cerné le monstre : ils lui font subir le même sort qu'à Maria.
Mais je rejoins encore une fois le professeur Allen John en déclarant que la fin du monstre est triste et cruelle : le monstre est éliminé pour le seul crime qui n'en est pas un.
Mais heureusement, Whale et son équipe vont s'en tirer par une pirouette, et finalement, quatre ans plus tard le monstre reviendra !
Mais ça c'est une autre histoire.