Des visages de gens attablés, en noir et blanc, qui passent du bon temps ensemble (1). C’est ainsi que commence le film, lors d’une célébration du journaliste de télévision Edward R. Murrow (David Strathairn), pour son travail à CBS. Nous sommes en 1958, et Murrow revient sur son combat antérieur contre le célèbre sénateur Joseph McCarthy et son acharnement à trouver des agents soviétiques dans tous les corps de métier du pays.
« Bonne nuit, et bonne chance », c’est ce que répétait à la fin de chacune de ses émissions ce même Ed Murrow (1908-1965) sur la chaîne CBS dans les années 1950s. Quand le film commence, nous sommes en 1953, et il semble que McCarthy a fait un pas de trop dans sa croisade/chasse aux sorcières : un soldat a été mis à pied parce que son père, d’origine serbe, lisait un journal dans sa langue maternelle. Et comme le soulignait le discours de Fulton (par Churchill le 5 mars 1946), l’opposition Est-Ouest est des plus effectives, réduisant le monde en deux camps sans aucune nuance.
Trois ans après Confessions d’un homme dangereux, George « What else » Clooney retourne derrière la caméra et nous propose à nouveau comme cadre la télévision américaine. Mais cette fois-ci, l’intrigue reste essentiellement dans les studios de CBS, où on assiste à une forme de joute oratoire entre Murrow et McCarthy, amenant dans le même temps des dommages collatéraux (2). Sans oublier que cette campagne va fragiliser la chaîne, après le retrait d’un de ses sponsors le plus important, amenant une série de licenciements, semble-t-il inévitables.
Il était tout de même temps que David Strathairn, éternel second rôle du cinéma américain ait pour une fois la vedette dans un film de relative importance. Et qui d’autre est le mieux placé pour mettre en valeur un acteur qu’un autre acteur, en l’occurrence le beau George. De plus, l’utilisation du noir et blanc permet l’insertion d’archives de la commission – HUAC (3) – dirigée par « Big Joe ».
C’est donc un film d’acteur(s) où Strathairn campe un Murrow très fidèle à son modèle, proposant des émissions de qualité et surtout où on ne prend pas le spectateur pour un imbécile. Cela ne vaut bien sûr que pour les émissions elles-mêmes, la réclame (on appelait ça ainsi en France à la même période) qui y est diffusée ayant tendance à en prendre le contrepied (publicité pour les cigarettes).
Et avec le développement de l’intrigue qui nous amène à la veille de la chute du sénateur, c’est toute une époque qui est retracée dans ces noirs et blancs superbes dus à la caméra de Robert Elswitt.
Certains diront que cette période est définitivement révolue et j’aurai du mal à objecter le contraire, tant le sérieux montré par Murrow/Strathairn est bien loin de la démonstration actuelle qu’on peut trouver sur certaines chaînes à grande audience, préférant se focaliser sur l’image au dépend de l’information.
De plus, la posture que prend le journaliste devant la caméra est des plus impensables aujourd’hui : la présence d’une cigarette qui plus est allumée dans sa main pendant les émissions en étant la première cause.
Mais surtout, ce qu’on peut aujourd’hui regretter en voyant ce film, c’est le professionnalisme et l’éthique qui ont tendance à se galvauder de nos jours, les puissants interviouvés ou les journalistes qui le font ayant recours à ce qu’on appelle des « fake news », américanisme qui cache un terme beaucoup plus crû et définitif : le mensonge. Et cette éthique d’un autre âge est d’autant plus remarquable que les téléspectateurs de l’époque n’avaient pas la même possibilité de vérifier les informations qu’on leur apportait.
Et je pense tout de même qu’il existe encore des journalistes de la trempe de Murrow ou Fred Friendly (George Clooney), son complice pendant toutes ces années, mais qu’il est toujours plus facile d’entendre un mensonge rassurant qu’une vérité dérangeante, sans oublier dans le même temps la paresse de ces mêmes spectateurs qui prennent pour argent comptant tout ce qu’on leur dit.
Mais ce débat n’a pas sa place dans cette chronique, même si à travers Murrow & C°, George Clooney rend hommage à ce qu’était le journalisme d’investigation d’après-guerre, et son film s’inscrit dans la même lignée que d’autres traitant de ce même sujet – l’information : les inoubliables All the President’s Men ou encore The Post (4).
PS : A noter la présence de Grant Heslov qui joue et a coécrit le scénario avec Clooney. Heslov tournera avec ce dernier The Men who stare at goats.
PPS : Ainsi que celle – involontaire mais inévitable – de Joseph N. Welch dans son propre rôle, lui qui fut le juge dans le magnifique Anatomy of a Murder (Otto Preminger, 1959)
- On y reconnaît les différents interprètes sans pour autant deviner où nous ni quand sommes. Un élément pourtant permet de dater ce film dans les années 1950 : un appareil photo qui capture certains de ces instants plutôt festifs.
- Outre la déchéance de McCarthy après le blâme qu’il reçut du Sénat en décembre 1954, Don Hollenbeck (1909-1954) se suicidera, suite aux différents articles qui seront publiés pendant la même période, surtout ceux d’un journaliste des plus conservateurs du New York Journal American, soutien farouche du sénateur du Wisconsin.
- House Un-American Activities Committee.
- Pour ceux qui ont du mal avec la langue de Shakespeare (!) : Les Hommes du Président (Alan J. Pakula, 1976) et Pentagone Papers (Steven Spielberg, 2017)