San Francisco, Californie.
Joanna « Joey » Drayton (Katharine Houghton) revient de Hawaï. Elle y retrouve ses parents, pour leur annoncer une grande nouvelle : elle va se marier. Avec le docteur John Wade Prentice (Sidney Poitier).
Rien de bien extraordinaire là-dedans, me direz-vous. Alors première précision : John Prentice est noir. Et en 1967, quand le film est tourné, il existe encore 16 états pour lesquels un mariage mixte est illégal (1).
Alors évidemment, quand Christina (Katharine Hepburn) et Matt Drayton (Spencer Tracy) découvrent ce jeune homme, c’est le choc. C’est aussi le choc pour les parents de John, Mr. & Mrs. Prentice (Roy E. Glenn & Beah Richards).
Mais la plus choquée de touts, c’est Tillie (Isabel Sanford), la servante noire des Drayton (depuis 22 ans !).
Quand le film sort, voilà déjà quatre ans que Martin Luther King (cité dans le film) a raconté son Rêve, et trois ans qu’il a reçu son prix Nobel de la paix. Mais comme le montrent les réactions (premières) des quatre parents, rien n’est encore gagné. En effet, même si les Drayton sont des gens ouverts et engagés pour les Droits civiques, on sent bien que cette mixité « c’est pour les autres ». Et si Christina surmonte rapidement ce coup du sort, il n’en va pas de même pour Matt : il est déjà difficile pour un père de se séparer de sa fille (2), mais en plus, comme dirait Muriel Robin, il est noir !
Mais qu’on ne s’y trompe pas : les objections de Matt ne sont pas d’ordre racial, mais plutôt fondées sur les difficultés – réelles – engendrées par une telle union : regard des autres, discrimination, haine… Ce sont d’ailleurs les mêmes arguments, autrement exprimés, qui agitent le père de John.
Et comme nous sommes dans une comédie, il est important que tout se termine bien, et que l’Amour triomphe. C’est donc le cas ici, et cette fin heureuse est longue à arriver. Et ce sont les personnages les plus forts qui vont dénouer la situation : les deux amoureux tout d’abord, parce que c’est tout de même leur décision, mais aussi les deux mères qui vont, inconsciemment, unir leurs efforts pour aider les jeunes gens. Et cela de manière très différente :
- Christina en privilégiant le bonheur de sa fille, allant jusqu’à menacer (implicitement) son mari ;
- Beah en parlant avec ce même mari : elle avance les mêmes arguments mais autrement, devenant alors l’élément du Destin.
Et ce dernier élément est absolument pertinent dans cette intrigue ô combien classique : Kramer respecte pleinement la règle des trois unités :
- Unité de lieu : tout se passe à San Francisco ;
- Unité de temps : entre l’arrivée d’Hawaï et le début du dîner, quelques heures (moins d’une demi-journée) se sont écoulées ;
- Unité d’action : tout tourne autour de ce mariage à venir : même la « sortie » au drive-in est motivée par ce qu’il s’est passé auparavant !
Alors cette intervention fatale (3), qui fait pencher l’intrigue vers une fin heureuse, a pleinement sa place ici : rappelez-vous les pièces Molière où un élément amenait irrémédiablement une issue heureuse.
Si aujourd’hui cette histoire ne choque plus beaucoup – il y a encore tout de même d’irréductibles racistes – tout du moins autant que lors de sa sortie, on peut se poser la question suivante : pour combien de temps ?
En effet, au vu de l’actualité (pas seulement américaine), et de la montée en puissance des extrêmes, les mariages mixtes sont-ils véritablement pérennes ?
Espérons que oui.
- On notera l’ironie du rôle de Spencer Tracy : c’est déjà lui qui, en 1950, est « le père de la mariée » dans le film éponyme, où son personnage se demande si l’homme que va épouser sa fille est le bon…
- Du latin fatum, i : destin, fatalité (cf. Dictionnaire Gaffiot, p. 656)