Mythique.
Dimanche matin à Hadleyville. Pendant que certains vont à l’église, Will Kane (Gary Cooper) se marie avec la belle Amy (Grace Kelly).
C’est aussi ce matin-là qu’arrivent Jack Kolby (Lee van Cleef), Jim Pierce (Robert J. Wilke) et Ben Miller (Sheb Wooley), pour accueillir Frank (Ian MacDonald), le frère de ce dernier.
Frank revient après avoir été libéré. Il retourne à Hadleyville pour tuer celui qui l’a fait condamner : le marshal Kane.
Fred Zinnemann, servi par la musique inoubliable de Dimitri Tiomkin, signe ici l’un des plus grands westerns du cinéma, soutenu en outre par une distribution impeccable.
Gary Cooper est – encore une fois – extraordinaire, dans le rôle de ce shérif abandonné de tous, même de sa femme, alors qu’il sait que sa vie ne tient plus qu’à un fil.
Il exprime toute la douleur et toute la solitude humaine face à la mort dans ce rôle, à la croisée des chemins de l’honneur, du courage et du devoir.
Sa position – celle de Kane – n’est pas si simple que ça. Certes, Miller est revenu le tuer, et fuir eût été la solution pour un homme normal, mais Kane n’est pas cet homme-là.
Il ne peut fuir sans cesse son destin – celui d’affronter Miller – car s’il fuit maintenant, ce ne sera que pour déplacer le problème et gagner un léger sursis : l’affrontement doit avoir lieu, alors pourquoi attendre ?
En restant affronter Miller, c’est un dernier service qu’il rend à la ville qui l’a vu la protéger pendant de nombreuses années.
Mais qu’en est-il de la ville ? Si certains sont disposés à lui venir en aide, ils ne sont pas les plus nombreux, mais surtout c’est le fait de rester qui amène le danger sur cette même ville : en partant, il aurait déplacé son problème, mais surtout, les habitants auraient certainement été débarrassés de Miller, temporairement tout du moins.
C’est d’ailleurs ce que lui déclare le maire Henderson (Thomas Mitchell, pour une fois sobre dans un western) pendant le débat qui a lieu dans l’église alors que Kane est venu recruter des adjoints.
Il y a dans cette intervention comme dans toutes autres qui émaillent les différentes tentatives de Kane une façon élégante de décliner l’offre sans pour autant passer pour un lâche voire un traître. Mais si les arguments semblent légitimes, ils n’en reviennent pas moins à la même conclusion : Kane sera seul pour affronter les quatre bandits.
Mais c’est cet affrontement qui fait la force du film de Zinnemann. En effet, alors qu’on est habitué à des justiciers solitaires qui nettoient la ville sans aide ni hésitation, Zinnemann nous montre ici un justicier malgré lui, obligé de réparer une erreur judiciaire : la libération de Miller (1).
Et surtout, ce justicier se sent faible et abandonné de tous (normal, c’est le cas). Un plan résume formidablement cette idée : Kane sort de son bureau et se retrouve dans la rue, de plus en plus seul à mesure que la caméra prend de la hauteur et révèle cette rue absolument déserte, la hauteur le rendant plus petit et encore plus seul.
Mais ce qui ressort avant tout, c’est la gestion de la tension.
Zinnemann mène l’intrigue de main de maître en la graduant en fonction de la solitude grandissante de Kane. C’est à chaque fois un nouvel événement qui va le rendre plus seul et le décourager toujours plus.
Et quand le dénouement approchera, avec l’arrivée imminente de Miller, Zinneman nous renverra à tous ceux que Kane a démarchés et qui ont répondu non à son appel, certains espérant d’ailleurs qu’il n’en sortirait pas…
Cette revue de détail se fait alors que la caméra se rapproche de plus en plus des personnages filmés, pour finir sur le cadran de l’horloge indiquant qu’il est midi (2).
Autre composant originale pour un western de 1952 : les femmes.
Elles sont deux (3) et d’une certaine manière sont identiques, ou plutôt complémentaires. De par leur statut et leurs attitudes.
La première, c’est donc Amy que Kane vient d’épouser. C’est une quaker qui refuse les armes, ce qui est un paradoxe quand on connaît le métier de Kane : pourtant, il compte partir avec elle pour établir un commerce !
L’obstination de son mari tout neuf (le film commence à leur mariage, un peu après 10 heures 40) lui est incompréhensible : elle décide donc de partir sans lui.
L’autre, c’est Helen Ramirez (Katy Jurado), l’ancienne « fiancée » du même Kane. Elle fut même fiancée à Miller encore avant. Elle aussi veut partir, mais pour d’autres raisons. Quoi que.
D’un côté, elle craint le retour de Miller, présenté comme un homme détraqué : c’est le genre de personnage capable de tout, et surtout du pire. Mais d’un autre, elle est lasse de cette ville et des hommes qu’elle y a connus, dont le dernier en date Harvey Pell (Lloyd Bridges, le père du Dude) : ce dernier abandonne lui aussi Kane pour des motifs mesquins.
Il était indispensable que ces deux femmes se croisent, leurs vies (passée ou future) avec Kane étant leur dénominateur commun. Elles vont d’ailleurs aller ensemble prendre le train, ce qui sera l’occasion de deux éléments très importants de leur impact sur l’intrigue :
- elles passent devant Kane désespérément seul : l’une regardant le chemin sans détourner la tête (Amy), l’autre fixant et suivant le regard de Kane jusqu’au bout avant de disparaître.
- Le début de la fusillade qui voit Amy redescendre du train alors qu’Helen reste, imperturbable, ne tournant même pas la tête, qui reste dirigée vers son futur.
La première situation nous ferait presque croire que l’amour pour Kane a changé de camp. Mais la seconde remet les pendules à l’heure (4) : Helen a tiré un trait définitif sur Kane et laisse la place à la belle Amy. Peut-on voir dans ce départ le fait que Kane ne pouvait plus lui revenir, étant marié ?
Pour le reste, l’affrontement final tient ses promesses, et si Kane est seul, cela ne l’empêche pas d’être le meilleur mais c’est normal : c’est Gary Cooper.
Mais cet affrontement n’est pas pour autant l’élément le plus important du film Il a lieu, logiquement. Mais c’est tout ce qu’il y a autour qui fait de ce film l’un des plus grands westerns qui soit, par un réalisateur dont ce fut portant la seule incursion dans le genre.
PS : A noter la présence (anecdotique d’un second rôle récurrent du western, Jack Elam…
- Autre habitude balayée : une erreur judiciaire a toujours lieu contre un innocent. Ici, l’erreur, c’est de ne pas garder un coupable en prison. Et sans toutefois que cela tourne en pamphlet contre une justice laxiste (etc. : refrain connu).
- Le titre original : « High Noon » signifie midi, zénith…
- Celles qui ont un vrai poids sur l’intrigue, je ne parle pas de celles qui sont les femmes de.
- C’est le cas de le dire ici. On remarque d’ailleurs beaucoup de références au temps dans le film.