Abandonnée un vendredi 13 devant l’entrée d’un orphelinat, Hoodoo Ann (Mae Marsh) n’a jamais eu une vie facile : employée aux basses besognes pendant que ses camarades s’amusent, elle est rejetée par ces dernières quand elle s’en approche.
Son surnom lui vient de la servante de l’orphelinat, Cindy (Madame Sul-Te-Wan). Cette dernière lui prédit que le mauvais sort (hoodoo) ne la quittera que quand elle se mariera. Pourtant, quand un incendie se déclare, sa vie va complètement changer : ayant sauvé la préférée de l’orphelinat – Goldie (Mildred Harris) – elle est recueillie par les Knapp (Wilbur Highby & Loyola O’Connor) qui vont l’adopter.
Mais le mauvais sort ne la quitte pas pour autant…
Mae Marsh et Robert « Bobby » Harron en tête d’affiche qui n’est pas réalisé par Griffith, en 1916 ? En fait, Griffith n’est pas loin, puisqu’il signe le scénario (1) et a bien entendu supervisé le travail. Mais on comprend qu’il ait délégué ce film à Ingraham : il était alors absorbé par son formidable Intolerance.
Et Ingraham, réalisateur très prolifique n’est certainement pas Griffith : son film est un tantinet bancale et ne possède pas le sens de la tension dramatique du maître. Pour preuve, l’incendie qui aurait dû être traité avec beaucoup plus de rythme et surtout un montage plus dynamique. Au lieu de cela, cette scène qui est le basculement dans la vie d’Ann n’est qu’anecdotique, comme si Ingraham n’avait qu’une envie : passer à la suite.
Cette suite semble mieux lui convenir : débarrassé des ressorts griffithiens, il oscille entre la comédie – le couple Higgins – et la tragédie – Ann croyant avoir tué accidentellement le mari (Charles Lee) – mais sans véritablement se positionner et on retrouve bien sûr le même sens moral que chez D.W. Ann ne peut épouser le jeune Jimmie Vance (Robert Harron) puisqu’elle a tué Higgins.
Et cette oscillation va tout de même un brin plomber le film : je l’ai déjà écrit ici, il faut aller franchement d’un côté ou de l’autre, ce que ne fait pas Ingraham. Pourtant, il avait de la matière avec ces mêmes Higgins : une mégère imposante (Anna Dodge) et son mari filiforme, tous les deux portés sur la boisson – lui plus qu’elle bien sûr – offrent alors des ressorts burlesques qu’Ingraham ne va pas exploiter pleinement, restant dans une intrigue un peu trop sage.
On notera tout de même quelques éléments techniques remarquables (même si peu originaux) : le flash-back qui va innocenter Ann ou la mise en abyme qui voit nos deux héros se rendre au cinéma.
Cette dernière séquence est d’ailleurs le déclencheur de la deuxième partie du film qui voit la transformation de la vie d’Ann. Mais là encore, Ingraham fait dans la demi-mesure. Ann et Jimmie visionnent un western où le héros (Carl Stockdale) n’est pas sans rappeler un autre cow-boy de premier plan en 1916 : William S. Hart. Mais comme expliqué plus tôt, même cette séquence est en demi-teinte (entre la tragédie et la parodie) et à nouveau, on reste sur sa faim.
Seul véritable intérêt de cette séquence : la présence en sous-impression (c’est le film qui est en surimpression) d’un pianiste qui accompagne le film auquel assistent nos deux héros, témoignage des séances du cinéma muet.
PS : autre élément gênant dans ce film, et qui concerne la séquence cinéma, la présence d’un personnage qui va suivre le couple et s’installer derrière eux dans la salle. Les différentes prises de vue le montre qui ne s’intéresse pas au film mais plutôt à la jeune femme. Et quand cette séquence s’achève, on ne voit plus ce personnage. A quoi a-t-il donc servi ?
- Granville Warwick, c’est lui !