Le Canal Saint Martin, un soir de communion. Deux amants désespérés : Renée (Annabella) et Pierre (Jean-Pierre Aumont). Tellement désespérés, qu’ils ratent leur suicide.
Deux autres amants, en bout de course, eux aussi : Raymonde (Arletty) et Edmond (Louis Jouvet).
Mais eux, seule la rupture peut les sauver.
Et puis d’autres couples : les Lecouvreur qui tiennent l’hôtel ; les Trimaux, lui (Bernard Blier) est éclusier, sorte de chef de gare sur le canal, si vous voyez ce que je veux dire…
Le suicide, c’est l’élément du destin, celui qui va amener le changement.
Edmond quittera Raymonde, Mme Trimaux quittera son Prosper (« Propro »), Renée quittera le quartier.
Mais finalement tout le monde reviendra à l’Hôtel du Nord et le film se finira comme il a commencé, par une autre mort et la vue sur le canal Saint Martin.
Finalement, il ne se passe pas grand-chose dans ce film. Juste des tranches de vie. Des petites gens qui évoluent. Mais ils sont tous importants dans la vie de cet hôtel. Alors évidemment, ils fêtent tout ensemble : communion, 14 juillet…
Et les acteurs sont servis par Henri Jeanson, qui accentue ce microcosme mais le rend proche, véritable. En un mot réaliste.
Parce que c’est le réalisme qui transparaît dans tout le film. Tout est possible, plausible.
Et enfin l’actualité est présente tout le long de l’histoire :
- quand l’orage gronde, le petit Manolo, rescapé de la guerre d’Espagne se réfugie dans les bras de Mme Lecouvreur, à cause des souvenirs ;
- quand Kenel (Andrex) – l’amant de Mme Trimaux – doit débrayer (crise oblige) ;
- quand les Trimaux ont organisé leurs vacances à Dieppe, une nouveauté ;
- quand Renée visite Pierre au parloir de la Santé ;
- quand Adrien (François Périer) a du mal à cacher son homosexualité (un peu comme Carné)…
Carné observe ses personnages qui vont à un moment se croiser, s’aimer, se quitter, disparaître, mourir…
Son film est structuré en miroir :
- l’ouverture se fait sur les amants sur le canal et se termine sur eux ;
- la fête du début (communion) a son pendant à la fin (14 juillet) ;
- la mort ratée de Renée au début, celle réussie de Robert à la fin. Dans les deux cas, il s’agit d’un suicide.
Et puis il y a les dialogues. Ce n’est pas la poésie de Prévert, mais les répliques sont, là encore, très justes : elles font mouche. Et puis la gouaille d’Arletty fait le reste…
Alors régalons-nous :
« Ils ne ratent jamais une occasion de me faire sentir qu’ils ne peuvent pas me sentir. » (Jouvet)
« Il y a autre chose qui n’est pas à sa place ici ! - Quoi donc ? - Une femme comme moi auprès d’un type comme toi ! » (Arletty & Jouvet)
« Ma vie n’est pas une existence.
- Ah, bah, si tu crois qu’mon existence, c’est une vie. » (Jouvet & Arletty)
« A une première communion, on peut pas manger des religieuses, ce s’rait pas convenable. (Andrex)
« Les uns donnent leur sang, les autres versent le sang des autres. « (Blier)
« Regarde-moi çà ! Je ne vois plus de l’œil gauche ! J’ai l’impression que je suis manchote ! » (Arletty)
« J’ai besoin de changer d’atmosphère, et mon atmosphère, c’est toi. - C’est la première fois qu’on me traite d’atmosphère ! Si je suis une atmosphère, t’es un drôle de bled ! Les types qui sortent du milieu sans en être et qui cranent à cause de ce qu’ils ont été on devrait les vider ! Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? Puisque c’est ça, vas-y tout seul à la Varenne ! Bonne pêche et bonne atmosphère ! » (Jouvet & Arletty)
« Depuis votre histoire, M. Edmond travaille du cerveau. Il a le cafard… Il emploie des expressions d’avant moi… Votre mort, ça lui a gâté sa vie ! Avant, il ne pensait pas ; maintenant il pense et ça le dégoute ! […] Ah vous êtes une atmosphère pas ordinaire ! » (Arletty)
« Avec nos deux malheurs, on peut faire…
- Une grande catastrophe. » (Anabella & Jouvet)