Dans un camp de femmes vide, près de Leningrad à l’hiver 1946, les gardiennes reçoivent un convoi d’une cinquantaine d’Allemands, tous prisonniers de guerre.
Parce que quand la guerre est finie, elle continue quand même.
Nous allons alors suivre la vie de ce camp de transit, dirigée d’une main de fer par Olga (Tatiana Yakovenko), aidée de ses six femmes, dont plusieurs ont eu à souffrir de la présence allemande à Leningrad.
Si ce film est ce qu’on appelle un « film de guerre », il est tout de même très difficile de le classer. Tout d’abord, il n’est jamais sorti en salles et a été de suite exploité en DVD. Et on peut se demander si ce film aurait eu un quelconque succès s’il avait été distribué dans les cinémas.
En effet, le film a pour intrigue une situation plutôt ambiguë. D’un côté des soldates russes, qui n’ont rien à envier à leurs homologues masculins : dès la première séquence, un prisonnier est abattu, sans sommation. De l’autre on a un groupe de prisonniers dont certains furent d’abominables SS, recherchés en vue d’un éventuel procès pour crime de guerre.
A cela s’ajoute un colonel on ne peut plus inquiétant : Pavlov (John Malkovich, toujours aussi magnifique).
Si les prisonniers ont peur de cet homme, ce qui est absolument justifié quand on voit ce qui arrive à ceux qui sont démasqués, il se trouve que les gardiennes aussi ne sont pas très à l’aise en face d’un tel personnage : le moment où Zina (Nathalie Press) est humiliée par Pavlov est aussi terrible que ce dernier ne s’énerve à aucun moment.
Il y a du sadisme dans cet homme et on peut difficilement s’identifier à un tel soldat.
Mais d’un autre côté, adopter le point de vue des prisonniers n’est pas sans créer un certain malaise : plusieurs d’entre eux sont de terribles barbares, tortionnaires et surtout tueurs de civils. Des hommes, femmes et enfants ont été tués impitoyablement pendant l’occupation de la ville, comme le rappelle les rares images d’archives de morts que Tom Roberts insère dans son récit : il ne peut pas y avoir de pitié pour ce qui s’est passé et surtout envers ceux qui ont officié.
On arrive alors à une sorte d’impasse : d’un côté un colonel russe peu amène et de l’autre des criminels de guerre.
Et puis il reste les femmes. Les gardiennes tout d’abord, effectuant leur service sans trop se poser de question (à moins que ce soit la peur de Pavlov). Elles ont chacune une attitude différente à l’égard de ces hommes qui sont à leur tour considérés comme des inférieurs : les privations dues à la présence allemande sont encore dans les mémoires, quand ce ne sont pas les exactions.
Et parmi elles, on va suivre plus particulièrement Natalia (Vera Farmiga, superbe), le médecin qui, de par son statut se retrouve près des prisonniers. Natalia dont le mari a été blessé et n’est plus que l’ombre de lui-même, incapable de parler, tout juste bon à ouvrir et fermer la porte du camp.
Par fonction tout d’abord, elle approche au plus près de ces hommes allant jusqu’à les toucher pour les examiner. Et puis il y a la dose d’empathie qu’a chaque médecin envers des gens qui souffrent, malgré ce qu’ils sont, malgré ce qu’ils ont été ou ce qu’ils ont fait.
Et puis il y a la frustration de cette femme qui n’a plus un vrai mari comme avant. Avant la guerre, la guerre qui a tout détruit : ce passé plus heureux malgré tout.
Et puis il y a les autres femmes, celles de Léningrad : seules pour la plupart et qui ont perdu leur mari à la guerre quand ce n’est pas ailleurs. Leur solitude n’est pas supportable dans cette période troublée. Alors de jeunes hommes disponibles, après hésitation, n’est pas pour leur déplaire tout à fait.
Cette rencontre est l’un des rares moments d’humanité totale du film. Je veux dire que pendant un moment, les uniformes ont disparu, les soldats sont redevenus des hommes et les femmes des femmes pour une danse, pour un instant de bonheur, fugace.
Et nous arrivons alors à une situation qui semble totalement incongrue dans un tel contexte : les tueurs et les familles des victimes réunies au son d’un ensemble musical de fortune. Sans uniforme. Sauf pour les Russes, rappelant alors que tout le monde n’est pas au même niveau.
On retrouvera certains des criminels de guerre. En reste-t-il d’autres ? On ne le saura pas, et de toute façon, la parenthèse ouverte par ce bal d’après-guerre va se refermer : avec la neige, ce sont les soldats qui vont s’en retourner d’où ils viennent : leur pays, leurs familles… Leurs consciences ?
Difficile à dire.