« De Stettin dans la Baltique jusqu'à Trieste dans l'Adriatique, un rideau de fer est descendu à travers le continent. Derrière cette ligne se trouvent toutes les capitales des anciens États de l'Europe centrale et orientale. […] Toutes ces villes célèbres et les populations qui les entourent se trouvent dans ce que je dois appeler la sphère soviétique, et toutes sont soumises, sous une forme ou sous une autre, non seulement à l'influence soviétique, mais aussi à un degré très élevé […] au contrôle de Moscou. » (Winston Churchill - Discours de Fulton, 5 mars 1946)
Un homme erre sur l’autoroute, criant aux voitures de s’arrêter, que la menace les concerne tous. Que ce sera leur tour de main.
Cet homme, c’est le docteur Miles J. Bennell (Kevin McCarthy - si son nom semble inconnu, son visage ne l'est pas). Et il a été le témoin d’une invasion pas comme les autres. Des entités prennent possession des corps et des esprits des gens et les remplacent, mettant en place une société sans émotion.
A l’origine, de gigantesques cosses, qu’on ne trouve pas sur terre…
Place à la série B. Mais si le film peut sembler de moindre importance, il ne faut pas le sous-estimer. Et deux raisons à cela :
- C’est devenu un film quasiment culte, qui a connu trois remakes ;
- C’est tout de même Donald Siegel qui l’a réalisé, soit pas le premier venu (à l’époque, un peu tout de même…).
Le tournage, effectué en 1955, se situe un an après la fin du maccarthysme. Le gars Joseph a été gentiment remercié (il mourra un an après la sortie du film) et l’Amérique, si elle lève le pied sur la chasse aux sorcières n’en demeure pas moins vigilante.
Parce que derrière cette invasion d’origine extra-terrestre (oui, c’est le cas), se cache l’invasion lente, insidieuse et progressive du communisme (d’où le discours de Fulton). Les gens contaminés sont comme les autres. Mais il leur manque un je-ne-sais-quoi qui les déshumanise. Ce qui leur manque : les sentiments. Pour beaucoup d’Américains, à cette période (et jusqu’à la fin des années 1980…), les communistes bne sont pas des hommes. Ce sont des êtres insensibles qui veulent combattre le « mode de vie américain » (American way of life). Et ce sentiment d’invasion s’exprime aussi dans le cinéma des années 1950 : ce n’est pas un hasard si en 1953 (en plein cœur du maccarthysme) sort La Guerre des Mondes (Byron Askin), ou encore Le Météore de la nuit (Jack Arnold)…
On assiste donc à une invasion pernicieuse mise en scène avec brio par un réalisateur très efficace. Toute la peur de l’invasion que connaît l’Amérique est rendue dans le film. Les gens transformés semblent avoir subi un lavage de cerveau, arme indispensable des méchants Rouges.
Et Bennell est le porte-parole de l’Amérique éternelle, celle qui ne renoncera jamais à ses valeurs.
Bref, nous sommes dans ce qui pourrait ressembler à un film de propagande, si c’était un autre que Siegel qui l’avait fait. Je ne donnerai pas de nom.
Siegel voyait dans cette invasion déshumanisante une allégorie de la société, et surtout celle du cinéma, fâché que les producteurs l’aient obligé à modifier la structure (et donc la fin) du film : « Ce qu'ils [les producteurs] n'ont pas compris, c'est que le film étaient sur eux : ils n'étaient pas autre chose que des légumes vivants ! »
Oui. Peut-être. Toujours est-il que les séquences d’introduction et de conclusion ont été rajoutées par Siegel (il n’avait pas le choix, les « légumes » ordonnaient…).
La prochaine fois que vous le voyez, oubliez les 2 minutes 50 secondes de l’ouverture, et les 90 secondes qui le concluent : cette histoire en deviendra autrement plus terrible…
…Voire plus intéressante ?
PS : Encore une fois, le traducteur fou a frappé. En effet, le titre original pourrait se traduire par « les Voleurs de corps ». Mais en 1945, Robert Wise réalisait The Body Snatcher (le Récupérateur de cadavre), avec Boris « the Beast » Karloff et Bela « Dracula » Lugosi (excusez du peu) où il était réellement question de profanation de sépultures. Notre traducteur (donc traître, cela va sans dire !) n’ayant pas vu le film de Siegel, par analogie, ne s’est pas embêté…