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Le Monde de Djayesse

Le Monde de Djayesse

Un peu de tout : du cinéma (beaucoup), de l'actu (un peu) et toute cette sorte de choses [A bit of everythying: cinema (a lot), news (a little) and all this kind of things]

Publié le par Djayesse
Publié dans : #Cinéma, #Drame, #Société, #Mathias Gokalp
L'Etabli (Mathias Gokalp, 2023)

Un « établi » n’est pas toujours un endroit pour travailler. Après mai 1968, ce terme désignait aussi une personne qui s’infiltre dans une entreprise pour y semer la graine révolutionnaire.

Robert Linhart (Swann Artaud), normalien, professeur de philosophie à l’université, est l’un d’eux. Il est embauché, en septembre 1968 comme OS (ouvrier spécialisé) chez Citroën. Toute la journée, avec ses collègue, il fabrique des Deux-chevaux : assemblage, tri de portes, sièges... C’est cette dernière activité qui lui convient le mieux. De toute façon, il n’est pas là pour la tâche, mais bien pour amener les ouvriers à se révolter.

Alors quand la direction décide de récupérer les frais concédés en mai en faisant travailler les ouvriers plus longtemps sans les augmenter, Robert voit tout de suite le parti qu’il peut en tirer. La lutte commence.

 

Quatorze ans après son premier long métrage, Mathias Gokalp nous revient pour le second, là encore inspiré par le monde du travail. Et c’est un sujet passionnant qu’il exploite ici, d’après le récit (autobiographique) du vrai Robert Linhart. C’est une magnifique utopie qu’il décrit, donnant sa place à chacun : si Robert est le personnage principal, il n’est pas toujours en avant parce que, fidèle à ses principes, il va insuffler la révolution dans l’esprit des autres travailleurs, afin qu’ils fassent leurs les moyens de production et donc de non production : la grève.

Bien sûr, cela ne se fait du jour au lendemain, mais dans les deux camps : quand Robert est embauché en septembre, le souvenir de mai est très présent, et il faudra quelques mois à la direction pour s’aventurer vers le retour en arrière, une fois que la tension se sera apaisée ; de la même façon, Robert va progressivement amener les autres à retourner au combat, par petites touches, avant de réunir tout le monde (qui veut bien suivre).

 

Mais si Robert est le personnage principal et qu’on aurait tendance à vouloir le suivre, on ne peut passer sous silence la frontière qui le sépare de ce monde manuel pour lequel il n’était pas vraiment préparé et ses discussions avec Yves (Lorenzo Lefebvre) illustrent parfaitement cet idée : on y retrouve la condescendance d’une classe presque dirigeante envers les travailleurs qu’ils essaient de copier. Malgré tout, il reste un soupçon de supériorité chez ces êtres instruits qui leur permet, d’une certaine façon, de manipuler les autres et les diriger vers cette « inaccessible étoile » qu’est la révolution prolétarienne.

Et malgré tout, les réponses de la hiérarchie lui donnent raison, et on ne lui en veut pas très longtemps ce discours un tantinet condescendant.

 

Il faut dire que le personnage de Junot (Denis Podalydès) est des plus intéressants. Tournant chaque défaite en victoire, il va infiltrer à son tour ce mouvement de grogne pour éliminer un par un les meneurs, jusqu’à l’abandon – inévitable, c’est une utopie qui est à la basse de ce mouvement – de Robert. Chacune des interventions de ce grand « petit chef » est superbe de contre vérité et de culpabilisation.

Encore une fois, comme le préconisait Hitchcock, les méchants sont formidables et amènent rapidement la haine du spectateur, et en particuliers les vrais petits chefs qui briment quotidiennement les ouvriers : intimidation  violence et racisme sont leurs formes d’actions. Ils sont absolument abjects !

 

Bref, L’Etabli est une très belle illustration de l’espoir porté par les maoïstes (et autres marxistes-léninistes) d’un jour meilleur pour les ouvriers mais avant tout pour leurs enfants (à eux aussi) comme le montrent les lectures très orientées que propose Robert à sa propre fille, amenant un sourire ironique aux lèvres des spectateurs.

Il n’empêche, Mathias Gokalp a reconstruit avec beaucoup de soin cette période troublée de la fin des années 1960, où les travailleurs immigrés n’étaient pas encore considérés ouvertement comme des parasites par certaines formations politiques, où un prêtre-ouvrier (Olivier Gourmet) qui dirige la branche CGT vient travailler en col romain, et où les anciens des colonies faisaient subir à ces mêmes immigrés l’amertume des défaites consécutives (Indochine & Algérie), et où on construisait encore cers formidables voitures qu’étaient les 2 CV.

Je le sais, j’en ai conduit une !

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