Il s’appelle Souleymane Sangaré (Abou Sangare).
Il vient de Guinée Conakry.
Il est né le 17 août 1999.
Il travaille comme livreur de nourriture sur un vélo.
Il a fait une demande d’asile auprès de l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides).
Il apprend consciencieusement l’histoire qu’il va leur servir pour pouvoir rester en France.
Trois jours, deux nuits d’un sans papier en France, c’est le pari (réussi !) de Boris Lojkine qui continue le travail commencé dix ans plus tôt avec Hope, qui voyait deux jeunes hommes traverser une partie de l’Afrique pour venir en Europe.
Cette fois-ci, Souleymane est déjà arrivé en Europe, et il travaille – clandestinement –pour s’assurer un (tout petit) minimum vital et préparer sa demande d’accueil. Parce que i Souleymane est aidé par Barry (Alpha Oumar Sow), ce n’est pas par philanthropie : ça coûte cher. Et Barry ne se prive pas d’en abuser puisqu’il reçoit plusieurs personnes en même temps, leur accordant tout juste un minimum de temps.
Nous assistons d’ailleurs à une de ces séances où une jeune femme raconte son expérience : mariée de force à un homme qui l’a violée – il faut consommer le mariage – elle est rejetée par sa famille puisque maintenant elle appartient (le terme n’est pas usurpé du tout) à son mari. Mais c’est rétrospectivement qu’on s’interroge sur ce récit : en effet, la situation qu’elle décrit est sordide et injuste, mais comme Barry a déjà élaboré l’histoire de Souleymane (celle du titre ?), qu’en est-il de celle de cette jeune femme ? A-t-elle réellement vécu tout cela ? Seule son hésitation à parler devant les autres joue en sa faveur, ainsi que son « aisance » (1) à en parler, mais le doute subsiste…
C’est donc une errance- surtout la deuxième nuit) que nous allons suivre, celle qui précède son « examen » : une sorte de « grand oral » sur lequel va se jouer – comme d’une certaine manière pour les candidats au baccalauréat – son avenir. Mais à la différence des élèves, s’il échoue, il n’y aura pas de rattrapage !
Souleymane va donc passer ces (presque) trois jours à apprendre une histoire, tout en sillonnant Paris pour livrer – le plus vite possible – des repas à vélo, avec les dangers que cela peut représenter.
Et Boris Lojkine le suit, non pas caméra au poing comme on pourrait l’imaginer dans un docu-fiction, mais avec une caméra toujours stable, et malgré tout au plus près.
Et surtout sans musique ! Ainsi les péripéties que va vivre Souleymane ne sont pas parasitées ou même d’une certaine manière commandées par un élément extérieur : à aucun moment on n’est distrait de cette histoire terrible et banale (2), voire terriblement banale !
Alors on suit avec empathie l’odyssée de Souleymane qui se poursuit : après son périple africain, le Parisien n’en est pas plus simple : entre la circulation dangereuse (euphémisme), les accidents, les récriminations des clients et les restaurateurs un tantinet racistes (3) et le temps qui joue contre le jeune homme. Et tout ça pour être exploité par un autre jeune homme pas tellement plus âgé que lui : au mieux il lui cède un tiers (un fixe hebdomadaire) de ses émoluments, mais ça doit plus souvent ressembler à la moitié…
Bref, une forme d’esclavage moderne qu’on peut croiser tous les jours dans la rue, et pas seulement à Paris…
Et puis il y a l’histoire qui donne son nom au titre. C’est très certainement cette histoire qui a valu à Abou Sangare son prix d’interprétation à Cannes : elle est aussi terrible qu’elle est magnifiquement interprétée. Et là encore, elle est certainement d’une banalité affligeante pour qui regarde de loin tout cela. Parce qu’elle est tout sauf banale : celle d’un homme qui a souffert, qui souffre et qui souffrira encore.
C’est l’histoire de la misère humaine, à peine arrangée pour le cinéma.
Le cinéma, c’est la vie, même aussi quand elle n’est pas belle.
Merci Boris Lojkine pour ce superbe film.
Et merci aussi à tous ceux qui ont y contribué : interprètes et techniciens.
- Son débit de parole, ses silences et ses hésitations ne semblent absolument pas feints.
- Si pour Souleymane elle ne l’est pas, pour le spectateur, sans pour autant user de mépris, elle l’est d’une certaine façon : tous les jours, de jeunes gens vivent cette même expérience, sans qu’on en parle…
- Celui qui nous est proposé est criant de vérité et haïssable à souhait : c’est Boris Lojkine lui-même qui l’interprète (rôle de composition, cela va sans dire !).