Paris, Quartier Latin, hiver 1830.
Les jeunes artistes, en attendant la gloire, crèvent de faim. Mais qu’importe, ils continuent à vivre leur rêve, même si les débuts de mois (loyer à payer) sont difficiles.
C’est le cas de Rodolphe (John Gilbert), jeune dramaturge, qui vit avec Marcel (Gino Corrado), peintre, et d’autres.
Et puis il y a Mimi (Lillian Gish). C’est une petite main, dans tous les sens du terme : elle est brodeuse et essaie de survivre dans un taudis froid, jouxtant celui des artistes.
Le printemps arrive avec les sorties à la campagne, et Mimi et Rodolphe tombent amoureux.
La Bohème, c’est surtout la rencontre de deux monstres sacrés du cinéma : Lillian Gish et John Gilbert. Tourné entre La grande Parade et Bardelys le Magnifique, c’est plus qu’une histoire d’amour : c’est celle d’un sacrifice amoureux ultime, interprété de façon magistrale par l’immense et magnifique Lillian Gish. Si John Gilbert est toujours impeccable, la moustache fine et le regard intense, c’est elle qui est la plus grande star du film. Elle y est époustouflante.
Le film est une suite de situations plus émouvantes les unes que les autres.
La première, c’est quand les artistes, invités par Musette (Renée Adorée) – une femme légère comme on disait dans ce temps-là – la convient à leur repas, sachant qu’elle meurt de faim elle aussi. Il faut voir le visage de Lillian Gish se décomposer au fur et à mesure qu’ils lui proposent des mets pour se rendre compte de son immense talent. Très émouvant.
La dernière, bien entendu, c’est quand Mimi meurt – eh oui, c’est une tragédie – entourée de ceux qui furent ses amis, près d’un Rodolphe enfin heureux de la retrouver : exsangue, les traits tirés, allongée sur son lit de mort, elle savoure tout de même ces derniers instants comme des instants de bonheur.
Encore une fois, Lillian Gish interprète un rôle éprouvant : il faut voir la déchéance de Mimi pour s’en apercevoir : comment elle peine à actionner sa machine dans une fabrique de tissus des bas quartiers est tout bonnement pathétique. Elle n’a ni la condition (elle est atteinte de la tuberculose), ni la force d’effectuer les tâches qui lui incombent Et pourtant, elle les fait. Jusqu’à en mourir.
Et Lillian Gish avait préparé cette fin et il n’y eut pas beaucoup recours au maquillage pour cette dernière partie : elle s’alimentait peu et s’entraînait à moins respirer en vue du final. Même King Vidor a eu peur, tellement Mimi paraissait réellement morte.
A l’instar de Lucy (Le Lys brisé, 1919) et Letty (Le Vent, 1928), Mimi fait partie des plus grands rôles de Lillian Gish, qui ont fait d’elle l’une des plus grandes actrices (voire LA plus grande) du cinéma, muet comme parlant.
D’une manière générale, on peut dire que King Vidor, avec La Bohème, réussit un magnifique film tragique, rempli d’émotions, parce que servi par une distribution de qualité. Outre les personnes citées, notons la présence de Roy D’Arcy, autre séducteur, mais du côté obscur, la plupart du temps et Karl Dane, autre interprète de La grande Parade, toujours ce grand échalas jovial. Ici, il est le concierge de l’endroit et amène Mimi mourante à Rodolphe. Il est accompagné par Mathilde Comont, plus connue pour son rôle de prince (!) perse dans Le Voleur de Bagdad (Raoul Walsh, 1924).
Un film inoubliable.