Sorti en 1937, ce film est un film de guerre qui prend le contre-pied des autres films du genre de l’époque.
En effet, aucune charge héroïque, pas de morceau de bravoure, aucune atrocité de guerre.
Non. Des prisonniers. La guerre est suggérée, elle n’est jamais montrée.
Nous sommes dans deux camps de prisonniers allemands où des Français survivent avec une seule idée en tête : s’évader.
Mais ce film est avant tout social.
En effet, deux mondes s’affrontent : l’aristocratie et le peuple, Boeldieu et Maréchal.
Boeldieu, c’est le militaire de carrière héréditaire. Dans sa famille, quand on ne meurt pas à la guerre, on est diplomate. C’est l’archétype de l’aristocrate sur le déclin. Celui que balayera la fin de la première guerre mondiale. Il est seul.
Parce que les années 1910 ont amené la fin du dix-neuvième siècle et de l’aristocratie. Les nobles ont été obligés de se retirer des affaires politiques devant l’avènement définitif de la bourgeoisie.
Et Rauffenstein résume très bien cet état de fait quand il déclare : « Boeldieu, je ne sais pas qui va gagner cette guerre. La fin, quelle qu’elle soit, sera la fin des Rauffenstein et des Boeldieu. »
Cette fin annoncée sera accentuée lors de la mort de Boeldieu : alors que Boeldieu s’en va, Rauffenstein n’en a pas fini. Son supplice va s’éterniser. Il ne mourra pas à la guerre.
Maréchal, c’est le peuple. Il aime les petits bistrots où le vin est bon, et il écoute avec plaisir une valse. Il chante Frou-Frou avec Lucile Panis. Il ignore ce qu’est le cadastre où qui était Pindare. Il a des copains. Ses copains sont comme lui. Ils font la guerre parce qu’ils ont été appelés, pas par devoir. Ils sont tous différents : acteur, ingénieur, mécanicien, professeur, tailleur… Mais ils sont ensemble et se serrent les coudes.
Et tous sont ensemble : Boeldieu avec les autres. Mais Boeldieu, malgré la promiscuité, reste Boeldieu, comme le dit Maréchal. Il ne se mélange pas : il porte des gants blancs et ne s’épanche pas avec ses hommes. Il fait même tout pour rester à l’écart, tout en participant aux préparatifs d’évasion. Il est avec eux, mais à l’écart. Pas étonnant que Boeldieu ne sera pas de la bonne tentative d’évasion.
Tout oppose Boeldieu et les autres : il porte des gants blancs ; il fréquente des restaurants de luxe (Fouquet’s, Maxim’s) quand les autres se nourrissent chez leur beau-frère ou dans un bistrot ; il fait des réussites quand les autres font de l’exercice.
Et Renoir nous le montre encore plus brillamment quand, à l’appel, il nous montre Boeldieu et Maréchal qui baillent. Alors que Boeldieu entrouvre la bouche en plaçant sa main devant, Maréchal ouvre une grande bouche à se décrocher la mâchoire.
Non, ces gens ne sont pas les mêmes. Il ne sont pas égaux.
C’est là qu’est la grande illusion.
On veut faire croire que la guerre rassemble les gens, alors qu’elle ne fait que souligner les différences.
Même dans les soldats, il y a des différences :
- Rosenthal est avant tout un Juif. Il se revendique comme tel à différents moments. Mais quand Maréchal est las de son évasion, il se lâche : « J’ai jamais pu blairer les Juifs ».
Et il n’est pas le seul. Il suffit de voir ce qui s’est passé pendant la deuxième guerre mondiale en France pour s’en convaincre.
- Dans le dortoir de Maréchal, on peut voir soldat noir. Probablement un tirailleur sénégalais. C’est un artiste. Il pratique la pyrogravure sur bois. Et quand il a terminé son œuvre, il s’approche de Maréchal et Rosenthal pour la leur montrer, leur demandant leur avis. Maréchal répond à peine, sans même regarder.
Cette illusion d’unité perdurera.
Deux ans plus tard, Maurice Chevalier chantera Ca fait d’excellents Français, décrivant les horizons différents d’où venaient les soldats de la Drôle de Guerre. Mais ces excellents Français y croyaient-ils encore ?