Jeanne d’Arc a toujours été un personnage fascinant. On ne compte plus le nombre de livre écrits sur elle ni ses représentations. Au cinéma, on avait (entre autres) la version Cecil B. DeMille avec Geraldine Farrar. Et puis Dreyer est arrivé, s’est attelé à ce film qui aurait dû être parlant et au final nous laisse l’un des plus beaux sur le sujet (si ce n’est LE plus beau).
Nous sommes très loin de l’épopée demillienne, et quand le film commence, les débats juridiques sont bien avancés ; ils se résument alors à deux questions : pourquoi ne pas porter des habits de femme ? Jeanne est-elle fille de Dieu ?
Extraordinaire.
Il est toujours de bon ton de mettre au pinacle ce film, mais quand on se retrouve en face d’un tel monument, on ne peut que s’incliner : le film de Dreyer est tout bonnement magnifique, preuve véritable, s’il en était besoin, de sa maîtrise cinématographique. Et le fait que le film dût être parlant à l’origine ne fait qu’augmenter sa valeur : les mouvements des lèvres des différents protagonistes sont en parfaite adéquation avec les visages et leurs expressions, donnant une force supplémentaire aux images.
Pourtant, ce film a tout pour être boudé : aucun élément de l’épopée guerrière de l’héroïne ; peu de décors ; peu d’action (1) ; et dans l’ensemble des personnages plutôt statiques.
Mais si les personnages n’ont que très peu d’actions à accomplir, la caméra elle ne tient pas en place. Ce sont des travellings latéraux ainsi que des gros plans suggestifs, essentiellement des visages plus ou moins en mouvement qui nous sont proposés, le tout dans un montage très dynamique signé par Marguerite Baugé et l’incontournable Dreyer. Sans oublier celui qui est derrière cette même caméra : Rudolph Maté (excusez du peu). Outre une plastique phénoménale, les différents angles pris par cette caméra accentuent la différence entre Jeanne (Renée Falconetti) et ses juges, dont des inévitables contre-plongées pour bien montrer la supériorité de ces derniers sur cette pauvre paysanne illuminée.
Parce que Jeanne est une illuminée. Nous sommes en fin de Moyen-âge et la ferveur chrétienne est toujours d’actualité : Jeanne en est un exemple flagrant, passée de simple bergère à commandante d’une armée royale pour avoir entendu les voix divines. Et Dreyer dirige Falconetti dans cette optique d’illumination. Ses yeux sont (presque) toujours grand ouverts, traduisant cette espèce de folie intérieure que l’on peut qualifier de foi ou de toute autre chose, amis qui est réelle et la guide tout au long de cette épreuve.
Les débats que nous suivons peuvent nous paraître inutiles voire ineptes – qu’est-ce que cela peut nous faire qu’elle soit en tenue d’homme ? – mais ces échanges étaient alors des plus importants en 1431 !
Et cette tenue vestimentaire est, à mon avis, l’un des plus grands enjeux du film : l’opposition entre Jeanne est les prélats chargés de son instruction n’est pas seulement une opposition partisane entre ces ecclésiastiques à la solde des Anglais et une représentante de l’armée de Charles VII. Jeanne, de par son allure générale possède une dimension jeune et moderne en opposition avec ces vieux religieux qui sont ses juges. Et nous arrivons alors à un paradoxe formidable quant aux tenues vestimentaires des différents protagonistes : alors que Jeanne a décidé de garder sa tenue masculine, on remarque que tous ses juges portent une robe ! Quel retournement !
Mais ce film est aussi l’histoire d’une passion, dans le sens premier du terme qui inclut une souffrance, une douleur. Tel Jésus, Jeanne est une figure christique qui va souffrir jusqu’au bout, avec en dénouement final une forme de rédemption.
Comme Jésus, elle sera questionnée et ne répondra pas toujours, ou portant les débats au-delà des affaires terrestres. Comme Jésus, elle sera tourmentée et moquée par ses gardiens qui vont même jusqu’à la couronner avec l’ouvrage qu’elle a réalisé dans sa cellule.
Et comme Jésus, elle ira jusqu’au bout du supplice pour une hypothétique libération de la France. On retrouve d’ailleurs une sorte de chemin de croix qui l’amène au bûcher, interrompu par une femme en pleurs qui lui offre à boire.
Un dernier mot sur l’interprétation. Si mademoiselle Falconetti (2) n’a plus 19 ans depuis longtemps (elle en a 35 quand le film sort), elle n’en demeure pas moins une Jeanne extraordinaire, aux expressions en parfaite adéquation avec ce personnage. De leur côté, les différents hommes sont eux aussi à la hauteur de l’événement. Ces hommes – les juges – sont vieux et laids, autant que leurs véritables personnalités : ils sont appelés à disparaître, après le supplice de Jeanne et la restauration du pouvoir royal de Charles VII. Si Eugène Silvain est un Cauchon réussi, on notera la superbe prestation de Maurice Schutz en chanoine Loyseleur, roué et fourbe, véritable déclencheur de la condamnation de Jeanne.
Au final, c’est un film absolument magnifique qui nous est proposé. A partir d’une intrigue très balisée et très connue, Dreyer réussit à nous passionner pour cette héroïne qui de toute façon finira sur le bûcher. Et cela de façon très subtile, montrant à chaque fois le minimum, suggérant souvent, soutenu par les images superbes de Rudolph Maté, et une interprétation idoine.
Un film indispensable.
- La seule séquence où les choses s’agitent ne vient qu’en fin de film, quand la population de Rouen se rebelle contre l’envahisseur anglais. Autrement, les rares mouvements des personnages concernent la marche.
- C’est ainsi qu’elle est présentée dans le générique.