« Ligotée, avec un couteau dans le… Entre les jambes »
C’est comme ça que Maria (Anne-Lise Kedvès) a retrouvée son employeuse, Maureen Kearney (Isabelle Huppert).
Pourquoi ? C’est le nœud de l’intrigue : pour la gendarmerie, cela ne fait aucun doute, elle mitonne. Ca tombe bien, ça arrange Luc Oursel (Yvan Attal), le directeur d’AREVA où travaille Maureen : c’est une mytho, et on n’en parle plus.
Mais quand on sait que Maureen est aussi la déléguée syndicale dans cette même entreprise (« fleuron de l’industrie française »), et qu’elle demande régulièrement au même Oursel de s’expliquer à propos d’un accord secret avec la Chine, poussant à bout ce « brave chef d’entreprise », on peut se demander s’il n’y aurait pas du vrai dans ce qu’elle raconte…
Jean-Paul Salomé nous revient en pleine forme avec un film coup de poing comme on aimerait en voir un peu plus souvent en France. Non pas qu’on n’en fasse pas, mais de cette façon, pas souvent !
C’est dirigé de main de maître et interprété au même niveau, ce qui nous offre un spectacle de grande qualité.
En effet, loin du bavardage récurrent dans le cinéma français, Salomé, qui tient un sujet en or, va montrer, démontrer et démonter :
- Montrer : une femme qui se maquille, un rouge à lèvre dans un lavabo qui y a laissé une trace, le café qui passe tranquillement ;
- Démontrer : les images précédentes se situent au moment de l’agression mais nous n’avons rien vu de violent de notre côté et l’enquête progresse vers une affabulation manifeste ;
- Démonter : cette enquête a été bâclée, Maureen s’en sortira (1).
Malheureusement, on ne sort pas indemne d’une telle expérience. Maureen Kearney a deux défauts pour une partie de ceux qu’elle est amenée à côtoyer : elle est syndicaliste, ce qui lui met à dos une bonne partie des gens pour qui elle travaille ; et elle est une femme ce qui va diriger l’enquête de gendarmerie vers l’affabulation. N’oublions pas que malgré tout ce qui a été dit, montré et fait, on a tendance à prendre une femme qui se plaint d’un viol pour une aguicheuse (4) si elle n’est pas mythomane (5). Et cette défiance vis-à-vis des femmes est palpable chez les différents cadres de la gendarmerie. Seule une stagiaire (Aloïse Sauvage) s’insurge contre ces pratiques : « on ferait çà si c’était un homme à qui on avait fourré un couteau dans le c… ? ». Bien entendu, nul ne répond. Et comme c’est une stagiaire, on n’en tient pas compte.
Et c’est là qu’est tout le talent de Jean-Paul Salomé qui utilise avec beaucoup d’habileté la bande-son. Et surtout le(s) silence(s). Avec deux grands moments :
- une bouche qui s’ouvre pour crier mais le plan s’arrête avant qu’on entende quoi que ce soit ;
- l’histoire de l’autre femme (Geno Lechner) qui raconte sa propre histoire, proche de ce qu’a pu vivre Maureen.
Et d’une manière générale, il y a une subtilité qui se dégage de ce film, de cette histoire sordide qui cache un scandale autrement sordide (2), oublié au profit de cette histoire sensationnelle. Et même quand il montre ce qu’il s’est réellement passé, c’est avec une dose de discrétion : faire voir sans vraiment montrer en quelque sorte, l’imagination – indispensable – du spectateur se chargeant du reste.
Et cette subtilité s’étend progressivement au film, où même quand nous avons – enfin – la possibilité de voir l’agression, c’est feutré, discret.
Je ne suis pas un grand admirateur d’Isabelle Huppert, c’est un fait, mais il faut avouer qu’elle interprète avec beaucoup de justesse cette femme tour à tour passionnée et froide, intériorisant beaucoup de ce qu’elle vit, pour protéger les siens entre autres, et la ressemblance avec la véritable Maureen Kearney est impressionnante (le maquillage y est pour beaucoup). Seul son accent anglais laisse à désirer. Mais on ne peut pas tout avoir. Et si je ne dis pas un tout petit peu de mal, on va croire que je fais du parti pris.
D’ailleurs, je fais du parti pris, comme d’habitude. J’ai beaucoup aimé ce film, et aux côtés de la belle Huppert, les différents protagonistes sont à la hauteur de l’enjeu. Yvan Attal, bien sûr est répugnant à souhait, véritable méchant du film (3), mais pas de l’histoire puisqu’on ne le voit pas vraiment et de toute façon, il ne mérite pas qu’on le cite, même s’il aurait été intéressant de l’identifier afin de remonter à la source : le commanditaire.
Quoi qu’il en soit, Salomé réussit son pari – et son film – réalisant un œuvre magistrale tout en montrant comment un grand groupe peut agir afin de préserver ses intérêts. Ou plutôt ceux de quelques uns… Et pendant qu’on parlait de Maureen Kearney, qu’on remettait en cause son témoignage, on n’enquêtait pas sur les véritables enjeux d’un démantèlement scandaleux qui a mis à la rue 50 000 personnes.
- Je ne révèle pas la fin : la publicité autour de la sortie du film et les différents articles s’y référant vous diront la même chose que moi.
- Le démantèlement d’AREVA ne fut pas glorieux, loin de là, comme le signalent les incrustations finales.
- Le film est réussi aussi parce que le méchant l’est. Rappelez-vous Hitchcock.
- On utilise même un terme encore moins agréable.
- Et non pas « mythowoman ».