Ce brasier c’est celui sur lequel brûle un homme (Ivan Mosjoukine), attisé par un autre (Nicolas Koline), tandis qu’il essaie de retenir une femme (Nathalie Lissenko).
Mais ce n’est qu’un rêve. La femme se réveille. Elle s’étonne d’avoir un rêve aussi dur alors qu’elle a la belle vie, à Paris, mariée à un riche Sud-Américain. Pourtant, ils s’éloignent : lui s’ennuie de son pays et voudrait y retourner ; elle non, elle veut rester dans le gai Paris.
Pour retrouver l’amour de sa femme, le mari engage un détective à l’Agence Trouve-tout.
Arrive alors le célèbre détective Z (Ivan Mosjoukine).
On a souvent tendance à réduire le cinéma russe à Eisenstein et consort (merci Georges Sadoul), alors qu’à la même époque, ceux qui avaient fui le régime communiste avaient pour beaucoup rejoint la France où ils purent, pendant la période muette, donner libre court à leur créativité. J’ai déjà parlé de Michel Strogoff, et ici, c’est celui qui interprétait le courrier du tsar qui a écrit l’histoire, joué et réalisé : l’immense Ivan Mosjoukine*.
Nous sommes à la croisée entre le film policier (des papiers ont été volés et le détective doit les retrouver), la comédie et le vaudeville. Nous avons trois personnages – la femme, le mari et le troisième homme – autour desquels en gravitent quelques autres, plus ou moins importants.
Mais, quarante ans avant Sergio Leone, ce sont les visages qui nous marquent. Et Les cadrages se rapprochent beaucoup plus qu’habituellement. Les visages en sont même coupés, laissant à ces yeux la vedette : celui de la femme, passionnée, malheureuse, amoureuse ; celui du mari, triste, résigné, enjoué ; et celui de Z, extraordinaire.
Il y a dans le regard de Mosjoukine une force, une intensité rare. D’un seul regard il nous fait voir tout ce qu’il faut. Il possédait, avec Lon Chaney, l’un des regards masculins les plus expressifs et les plus magnifiques du cinéma muet. Et en plus, ses yeux étaient bleus !
Alors que la séquence d’ouverture est très dramatique (c’est un rêve qui tourne au cauchemar), nous sommes en pleine dans la comédie. L’arrivée et la visite (obligée) de l’agence Trouve-tout par le mari sont un bel exemple d’absurde. Et la métamorphose de Z est tout aussi bluffante : il est méconnaissable.
Nous avons aussi droit à quelques éléments de burlesque, mais nous sommes ici chez les Russes blancs, qui ont un autre degré d’éducation (voire de « sophistication », en anglais dans le texte, les bilingues comprendront) qui est autre que les Chaplin, Keaton, Lloyd et compagnie, d’où une retenue inévitable. Mais tout de même, voir Z, ravi, remuer dans tous les sens est un plaisir rare.
Un film à (re)découvrir de toute urgence !
* Avec toujours une petite pensée émue pour Madame Renée Lichtig, grande admiratrice de ce monstre sacré.