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Le Monde de Djayesse

Le Monde de Djayesse

Un peu de tout : du cinéma (beaucoup), de l'actu (un peu) et toute cette sorte de choses [A bit of everythying: cinema (a lot), news (a little) and all this kind of things]

Publié le par Djayesse
Publié dans : #Cinéma, #Drame, #Henri-Georges Clouzot
Le Corbeau (Henri-Georges Clouzot, 1943)

Saint Robin, Seine et Oise.

Une petite ville française comme les autres.

Son église, ses arcades.

Son école avec son maître manchot (Noël Roquevert).

Son hôpital.

Son corbeau.

 

Les petits secrets sont révélés par une plume anonyme dans ce petit village apparemment paisible. La principale cible : le docteur Germain (Pierre Fresnay). Mais personne n'échappe aux accusations du délateur. Et quand un malade met fin à ses jours, on se dit qu'il est temps de faire quelque chose.

Alfred Greven avait été placé à la tête de la Continental (société de cinéma française à capitaux allemands) pour y produire « des films légers, vides et, si possible, stupides. » (Journal de Greven)

Il est clair que le film de Clouzot n'est absolument pas dans cette optique. C'est un film lourd, poisseux, où l'ambiance est plombée par les agissements de cet anonymographe, déversant un torrent de calomnies. « Vieille canaille », « vieil ivrogne », « vieil embusqué », telles sont les joyeusetés qu'on peut lire sur les missives répugnantes. Malgré le caractère agressif des lettres, il faut constater qu'un fond de vérité se cache derrière ces accusations. Et chacun n'y voit de vérité que dans celle qui ne le concerne pas, et le docteur Germain devient une cible de choix.

Mais plus que ces vérités, c'est la description du village qui fait la force de ce film. On y découvre un microcosme où tout le monde se connaît, tout le monde s'épie, tout le monde se jalouse. Les commères y sont à leur aise, la mercière (Jeanne Fusier-Gir) en tête. Mais les hommes ne sont pas en reste. Et les lectures réciproques des courriers du corbeau prennent tout leur sel quand on sait que ce qui est dénoncé est vrai. Un seul homme est au-dessus de tout ce tissu de calomnie : la cible privilégiée, le docteur Germain.

Et le propos prend tout son sel quand on le replace dans le contexte historique : nombre de lettres anonymes furent envoyées à la Gestapo pour y dénoncer qui un Juif, qui un voisin, qui un rival afin de s'en débarrasser. Ces dénonciations étant, bien entendu l'œuvre de « très bons Français »...

C'était certainement le film à ne pas tourner : il n'eut pas de visa d'exploitation en France et on le reprocha à Clouzot à la Libération. Et pourtant, quel chef-d'œuvre ! Jamais on n'avait filmé avec autant de justesse les effets de la calomnie. On connaissait celle de Rossini, dans Le Barbier de Séville. Mais maintenant, on a celle de Clouzot. La scène où Marie Corbin (Héléna Manson) est pourchassée est un point culminant des ravages qu'elle peut faire :

Marie Corbin vient d'être renvoyée de l'hôpital et se hâte de rentrer chez elle alors que la foule scande son nom. Mais jamais on ne voit cette foule. Elle est de plus en plus présente, criant inlassablement après la femme qui se met à courir pour échapper à cette masse invisible. Et quand elle arrive chez elle, tout a été dévasté (devinez par qui), et elle se regarde dans son miroir brisé reflétant son visage déformé : car c'est bien d'elle qu'il est question. Cette campagne de boue l'atteint de plein fouet, la rendant différente, comme défigurée par ces accusations mensongères.

Et si Germain est une victime très convaincante, devant se défendre seul devant ces accusations répétées par les commères susnommées, l'autre grand personnage du film est le docteur Vorzet (Pierre Larquey), psychiatre et vieux mari d'une femme (très) jeune (Micheline Francey). Pierre Larquey est formidable dans le rôle de ce spécialiste désabusé et un tantinet cynique, opiomane et - comme tous les autres - au-dessus de tout soupçon !

Sa confrontation avec Germain dans la salle de classe est devenue une scène phare du film, la lumière de la classe devenant la vérité, et pour peu qu'on la fasse se balancer, alors ce qui était dans l'ombre se retrouve en pleine lumière et inversement. Jusqu'au moment où Germain tente de l'arrêter... Magnifique.

De plus, ce film est porté par une distribution de premier choix, échangeant des répliques (ciselées, bien entendu) qui font mouche :

« Dites donc, au fond, Corbeau, c'est p't-être vous ? - Pourquoi pas ? »

« Qui "on" ? - D'autres imbéciles, nous n'en manquons pas. »

« On voit que vous avez l'habitude de soigner les fous. - A votre service. »

(Germain, Vorzet)

 

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