Fort du magnifique La Grève, Eisenstein revient, cette même année avec ce nouveau film qui va devenir le symbole de toute son œuvre, l’histoire de ce cuirassé rebelle qui amena la révolte à Odessa et surtout l’une des séquences les plus célèbres et les plus magnifiques du cinéma : les marches d’Odessa (quatrième partie).
A nouveau, nous sommes dans la Russie tsariste, et bien entendu, nous assistons à une oppression meurtrière des forces de l’ordre (ancien), qui se déchaînent face à une foule pacifique qui n’a pour seul tort que d’acclamer la révolte des marins du cuirassé.
Petite cause, grands effets : alors que les marins refusent de consommer de la viande avariée – on y voit des asticots – une partie d’entre eux est condamnée à être fusillés, pour l’exemple cela va de soi. Mais l’exécution n’a pas lieu et les marins sont sauvés. Jusqu’à ce qu’un haut gradé s’empare d’un fusil et tue le brave et vaillant Grigory Vakoulintchouk (Aleksandr Antonov) qui mena la révolte.
C’est pendant l’hommage rendu par la population d’Odessa à ce marin qu’ont lieu les exactions de l’armée tsariste sur les marches.
Voilà une soixantaine d’années (1958), ce film fut sélectionné parmi les 12 meilleurs films du monde. Certes, le montage est magnifique, mais je pense que beaucoup des jurés avaient oublié (voire ne connaissaient pas) le film précédent d’Eisenstein dont j’ai déjà parlé ici.
En effet, alors qu’il avait réussi un premier long métrage formidable, donnant une dimension universelle à son propos, j’ai l’impression que traiter un sujet historique a bridé le grand Sergueï, empesant son film malgré la séquence choc des escaliers.
Pourtant, on retrouve ici toute sa science du montage et sa direction de la foule, deux composantes indissociables de son cinéma. De plus, la photo d’Edouard Tissé propose de très beaux plans des individus qui composent cette foule en mouvement, accentuant les différents éléments tragiques de l’intrigue : des gros plans de visage dont celui de la femme touchée par une balle restent inoubliables. Eisenstein, encore une fois, réussit à doser la proportion collective et individuelle de son scénario – Vakoulintchouk, véritable leader bolchévik opposé à la foule innombrable qui vient se recueillir devant le corps de ce dernier – confirmant définitivement que la seule star de ses films – de cette époque – c’est bien la foule, ce peuple qui a porté les communistes au pouvoir. Et Eisenstein lui rendra à nouveau hommage dans son film suivant : Octobre.
Il est clair que Le Cuirassé Potemkine est un film inoubliable, mais je trouve tout de même sa réputation un tantinet surfaite. En effet, son film précédent avait les mêmes qualités que celui-ci pais avec un élément universel flagrant. Ici, nous sommes prisonniers du temps et si les récriminations de Vakoulintchouk et des autres marins sont bien entendues dans la droite ligne de l’idéologie dominante en URSS en 1925, l’aspect daté freine le souffle épique qu’on ne trouve vraiment que pendant la grande scène (1). Et même la photo de Tissé (et Popov) n’empêche pas un dose d’ennui devant cette intrigue propagandiste.
Mais surtout, Eisenstein qui s’est inspiré du récit de Nina Agdjanova-Choutko, arrête son intrigue à la réunion des vaisseaux tsaristes. Ce n’est pas une erreur historique, loin de là, mais il faut tout de même savoir que l’unité trouvée au final ne durera pas longtemps, et tout retournera comme avant : la révolution est pour 1917, pas avant !
Reste tout de même cette extraordinaire séquence de foule sur les marches d’Odessa avec les Cosaques qui descendent l’escalier en tirant pendant que la foule s’égaye au milieu des cadavres qui ne cessent de tomber, et surtout le landau qui dévale les marches pendant que le bébé pleure, avant de se renverser. La caméra est toujours au bon endroit et c’est absolument magnifique, mais c’est aussi une séquence d’une grande violence, atténuée par l’âge du film et le format en noir et blanc. Cette séquence rappelle une autre vérité historique : les soldats du tsar étaient des criminels endurcis qui étaient capable de tuer sans beaucoup d’hésitation pour faire régner l’ordre.
Près de 100 ans après, on remarque que cette violence se retrouve toujours dans les rues, en Russie comme ailleurs. (2)
Hélas.
- Toujours la même !
- L’actualité nous le montre trop souvent.