« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans. » (Arthur Rimbaud)
17 ans, c’est l’âge de François Jaubert (Gérard Philipe), en cette année 1917 qui voit Nivelle mener une grande offensive (inutile). C’est donc la Guerre et le lycée de François abrite aussi un hôpital. Dans cet hôpital officie Marthe (Micheline Presle, 101 ans le 22 août dernier), sur la demande de sa mère (Denise « Poupette » Grey).
Ils se rencontrent. Deux fois. Ils s’aiment. Pour toujours.
Sauf que Marthe est fiancée. A un Poilu (Jean Lara).
Et malgré son mariage avec ce soldat toujours absent, elle continue d’aimer François, le recevant à la nuit tombée chez elle.
Bien sûr, Gérard Philipe n’a pas 17 ans, mais c’était son âge quand la guerre a éclaté, tout comme Micheline Presle, alors cette histoire de jeunes gens pendant la guerre, cela aurait pu vraiment être la leur. On retrouve dans ces deux personnages l’insouciance de la jeunesse, ainsi que le sentiment d’amour éternel qui caractérise cette période (1). Et comme son aîné (1), cet amour est tragique : pas question qu’il survive (l’amour) à la période. En effet, qu’on soit en 1917, en 1923 (quand sort le livre de Raymond Radiguet) ou 30 ans après (quand le film sort sur les écrans), il est inconcevable de célébrer l’adultère : non seulement elle est mariée, mais en plus son mari est sur le Front ! Bref, ce sera tout une histoire, la sortie de ce film, qui consacre deux jeunes interprètes : Gérard Philipe et Micheline Presle.
Et c’est vrai qu’ils sont magnifiques, tous les deux. Elle, très belle, avec ses grands yeux tristes, et lui, adolescent éternel.
Et Claude Autant-Lara, qui n’est plus un novice dans le métier, dirige avec beaucoup de brio ce couple qui va à contre-courant de la morale de l’époque (celle que vous voulez : 1917, 1923 ou 1947). Mais pas seulement eux. Le personnage du père de François (Jean Debucourt) n’est pas si obtus qu’on pourrait le penser, un tantinet tiraillé par la morale et le bien-être de son fils. C’est très certainement le personnage le plus proche de François, plus certainement que son ami René (Michel François qui, lui, a l’âge de son rôle !). Par contre, le personnage le plus ambigu est celui de la mère de Marthe : Denise Grey interprète ici une femme qui semble veuve et ne voit pas d’un bon œil l’apparition de ce jeune homme si séduisant. Et son ambiguïté tient dans le fait qu’elle sait que sa fille couche avec François et surtout ne fait rien pour les séparer tant que le troisième homme est à la guerre (2).
Et la morale de cette époque va surtout être illustrée par le couple de logeurs de Marthe (et son mari : ce sont deux de ces petites gens que Gabin-Grandgil fustigera dans l’inoubliable Traversée de Paris presque dix ans plus tard. Il faut dire qu’ils sont caractéristiques : entre elle (Jeanne Pérez), commère inévitable du fait de sa position (concierge), et lui avec son casque colonial, on sent tout de suite que la médisance va voler bas, ce qui est, bien entendu, le cas.
Et puis il y a la guerre qui est omniprésente, bien qu’on n’en voie aucune phase. Et le fait de commencer l’intrigue par la fin de cette guerre est une formidable idée : pendant que canon tonne et que le tocsin résonne, saluant les premiers instant de l’Armistice, avec les scènes de liesse de la population, un cortège se met en route vers l’église, accompagnant un cercueil marqué de la lettre L comme Lacombe (3).
François va bien sûr suivre ce cortège, mais de loin, continuant a égrener ses souvenirs : trois longs flash-back vont donc nous conter cette histoire – tragique.
Et cette opposition entre la joie de la victoire et la douleur de la mort va se poursuivre à chaque fois que nous reviendrons au 11 novembre, dans l’église ou ailleurs : alors que la cérémonie revêt un caractère très solennel, on entend toujours sonner le tocsin et les personnes qui ne sont pas vraiment proches de la personne qu’on enterre n’ont pas spécialement l’attitude adéquate pour des obsèques. ON peut d’ailleurs imaginer aisément que ces mêmes personnes représentent la morale de cette époque et que la liaison entre Marthe et François les aurait fait réagir assez véhémentement.
De plus, pendant que la cérémonie se déroule, le sacristain (Albert Rémy) installe les drapeaux des vainqueurs aux piliers de l’église, totalement étranger à ce qu’il se passe alors.
Et si vous n’avez pas vu le film, je vous laisse savourer sa dernière réplique à l’adresse de François. Un bijou de Jean Aurenche et Pierre Bost (et Autant-Lara, bien évidemment), comme plusieurs autres répliques qui émaillent le film.
Saurez-vous reconnaître Jacques Tati ? On l’aperçoit trois fois en quelques minutes.
- On n’a rien inventé depuis Roméo & Juliette…
- La bonne sœur de l’hôpital (Marthe Mellot) non plus, même si on voit très bien qu’elle désapprouve !
- Le mari de Marthe s’appelle Jacques Lacombe.