Un roi qui l’ouche.
Un oiseau portant chapeau.
Une charmante bergère.
Un petit ramoneur de rien du tout.
Des policiers à moustaches et à parapluies.
Des fauves.
Un géant de fer.
Et…
Et l’ombre de Prévert qui plane au-dessus de tous.
Au royaume de Takicardie, le roi Charles V+III=VIII+VIII=XVI règne sans partage. Un véritable dictateur avec, bine entendu, un culte de la personnalité très développé : partout où porte le regard ce ne sont que gravures, statues et mosaïques aux traits du despote (pas éclairé).
C’est un roi chasseur. Son gibier préféré : les oiseaux.
L’oiseau, lui, s’appelle l’Oiseau, avec une majuscule. Père de quatre oisillons dont un téméraire, il est veuf depuis que le roi a malencontreusement tué son épouse pendant une partie de chasse. Malencontreusement ? Oui, n’oubliez pas qu’il louche, alors pour viser juste, c’est assez limité…
Dans les appartements secrets du roi, deux gravures qui se font (presque) face : une bergère et un ramoneur. Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils sont amoureux. Mais le roi aussi aime le ramoneur. Alors quand les deux jeunes gens sortent du tableau, il n’y a pas de raison qu’un autre roi le fasse aussi, se substituant à l’original qu’il envoie dans un cul de basse-fosse, si ce n’est à la mort…
En 1980, quand sort le film, c’est l’aboutissement d’un travaille qui a commencé en 1946, quand Paul Grimault – déjà – avait adapté le conte d’Andersen La Bergère et le ramoneur avec l’aide de son ami Jacques Prévert (ils ont tous deux participé au groupe Octobre). Malheureusement, Prévert disparaît alors que le film va être remis en chantier. Les deux ans qui suivent amèneront l’aboutissement de la collaboration entre ces deux hommes, véritable mise en image du monde du poète.
Le Roi et l’Oiseau, c’est un condensé du monde de Prévert, un inventaire et des dialogues merveilleux. On ne peut s’empêcher de penser aux poèmes qu’il a écrit tout au long de sa vie : Pour toi mon Amour, Le Chat et l’Oiseau, Inventaire (bien sûr)…
Le tout dans un univers urbain tout en hauteur, immense et froid. Cet univers pourrait aussi être qualifié de steampunk, quand on voit le déploiement de technique et d’automatisation développé par le scénario : l’ascenseur, la mécanisation…
Le soleil a sa place lui aussi, tout comme le travail, vieille cible du grand Jacques. Et au cas où on serait pas convaincu par le despotisme dictatorial du roi, ce dernier annonce : « le travail, ma belle, c’est la liberté. »
Et puis il y a les jeux sur les mots : un terme en amène un autre qui en amène un autre (etc.) pour finalement s’éloigner du sens initial (les différents nivaux du palais), un peu comme au début de Tentative de Description d’un dîner à Paris – France.
On retrouve dans ce dessin animé le style des années 1940-50, avec des personnages très stylisés, des sortes de caricatures, comme on les dessinait à l’époque. Ces personnages sont mêlés à des dessins qui portent plus la marque des années 1970 : on peut voir que les fauves sont moins bien dessinés, plus sommaires. Mais la technique et le trait évoluent avec le temps, et cela n’a pas tant d’importance que ça. La magie opère malgré tout. Et les traits des personnages principaux, très marqués années 1940 apportent une part de la nostalgie qui baigne l’œuvre du poète.
L’art pictural est aussi très présent dans ce film. Le culte élevé de la personnalité du roi nous permet d’admirer, mais surtout d’apercevoir, des œuvres célèbres transformées pour l’occasion : on reconnaît Picasso (ami de Prévert), mais aussi Rigaud et son Louis XIV, La Leçon d’anatomie du Dr Tulp de Rembrandt… C’est un festival de trouvailles et d’humour.
Et puis on retrouve, à la fin, le géant de fer dans la pose du Penseur de Rodin, penseur qui envoie le roi au loin - là-bas où c’est tellement loin que jamais on en revient – et termine symboliquement le film, comme l’aurait aimé Prévert.
Un film fabuleux et magnifique, dont on ne se lasse pas.