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Le Monde de Djayesse

Le Monde de Djayesse

Un peu de tout : du cinéma (beaucoup), de l'actu (un peu) et toute cette sorte de choses [A bit of everythying: cinema (a lot), news (a little) and all this kind of things]

Publié le par Djayesse
Publié dans : #Cinéma, #Henri-Georges Clouzot
Le Salaire de la peur (Henri-Georges Clouzot, 1953)

Aéroport de San Miguel, Las Piedras, Amérique latine.

C’est facile d’y arriver, beaucoup moins d’en repartir, sinon les pieds devant.

Mario, Luigi, Bimba, Smerloff et les autres y sont depuis un bout de temps maintenant. Mais si Las Piedras est un terminus d’avion, c’est aussi un terminus pour ces gens-là, qui n’ont plus ni famille, ni patrie, mais ce qui est plus grave encore : plus de travail.

Et quand Jo, caïd patenté, débarque, rien ne change.

Ce qui fait tout basculer, c’est un puits de pétrole en feu. IL faut y convoyer de la nitroglycérine pour l’éteindre.

Mais la nitro, ça ne supporte pas les chocs. Alors dans des camions qui ne sont pas du dernier modèle, et sur une route qui ressemble plus à une piste, les chances d’aller livrer l’explosif sont plutôt minces.

 

Ils sont quatre à faire le voyage. Déterminés, gonflés à bloc, mais surtout tenaillé par la peur : se dire qu’il suffit d »un  rien pour se transformer en fumée, ça vous change un homme. C’est d’ailleurs ce qui arrive à Jo, qui n’est plus que l’ombre de lui-même, broyé par la peur que sa gamberge alimente. Pourtant, la peur, c’est Mario qui l’avait. Mais plus le convoi avance, et plus cette peur quitte Mario pour habiter Jo, lentement, progressivement, jusqu’à l’insoutenable, comme des vases communicants. Mais le voyage continue, inexorablement et Mario prend l’ascendant sur Jo, qui ne devient qu’un pauvre type, ce qu’il a d’ailleurs toujours été.

 

C’est un film d’hommes, encore une fois, que nous propose Clouzot. Certes, il y a Linda (Véra Clouzot, la femme de), la bonne à tout faire d’Hernandez (Dario Moreno), le patron du bar où ces hommes de rien passent leur temps à « user ses chaises », faute d’avoir de l’argent pour y boire. Linda n’a d’yeux que pour Mario, le beau Mario pour lequel elle vole son patron alors que Mario n’a plus d’yeux que pour Jo et sa prestance. Et en plus, il est de Paris, et Linda ne peut pas lutter contre ça.

 

Mario et Jo sont deux « pays », deux Parisiens, chacun à sa manière : Mario rêve en regardant son dernier ticket de métro, pendant que Jo se comporte en véritable Français à l’étranger : il parle fort, mais en fin de compte ne fait pas grand-chose…

Malgré tout, le couple Vanel-Montand fonctionne merveilleusement, surtout grâce à Vanel qui ne recule devant rien pour ce rôle : Gabin aurait refusé de peur que ça entache sa carrière, alors que le vieux Charles n’hésite pas baigner dans le pétrole, rejoint par Montand pour les besoins de l’intrigue, ce qui leur vaudra tout de même quelques ennuis de santé aux yeux…

 

Quand Mario explique la (sur)vie à Las Piedras, on retrouve le type montage de Quai des Orfèvres : Jenny Lamour déchiffre Avec son Tralala, pendant que le décor évolue jusqu’à la fin devant une salle enthousiaste. Ici, Mario parle de façon continue alors qu’ils sont dans des lieux différents, terminant à l’enterrement d’un de ces hommes perdus. Le temps a passé. Combien ? On ne le sait, mais de toute façon, ça ne compte pas : Jo arrive, un autre s’en va.

Autre montage notable : le final, avec d’un côté les couples qui dansent et de l’autre Mario, qui fait valser son camion d’un bord à l’autre de la route, aux accords du Beau Danube bleu de Strauss. Une musique réjouissante… Ou pas !

 

Ces hommes sont revenus de tout, ou plutôt, ils en sont partis. Mario est franco-italien (du sur mesure pour Yves Montand), Luigi par contre est totalement italien (de Calabre), Bimba vient d’Allemagne, tout comme Smerloff, mais certainement pas du même camp, puisque Bimba a vu son père pendre et passé un certain temps dans les mines de sel nazies… Bref, ces laissés-pour-compte rappellent sur certains points les légionnaires qui fuient tous quelque chose. Mais si les légionnaires ont la possibilité de se racheter*, eux sont arrivés en bout de piste et ne peuvent plus rien faire que crever de faim.

Alors partir en fumée ou rongé par la famine, quelle importance ?

 

C’est un passage de relais qui s’effectue pendant cette expédition. Celui de Jo, vieux, faible et lâche, à Mario, jeune, fort et courageux, qui en devient tyrannique envers Jo : c’est le sort des perdants. « Vae victis »**, comme on disait autrefois…

Mais au bout du compte, ce voyage était-il nécessaire ? Oui, bien entendu. Car l’épreuve révèle les hommes : qu’ils soient bons ou mauvais, et de toute façon, à plus ou moins longue échéance, on termine tous pareil.

 

 

 

* voir pour cela le magnifique film de Duvivier : La Bandera

 

** voir les pages roses de votre dictionnaire à pissenlit

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