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Le Monde de Djayesse

Le Monde de Djayesse

Un peu de tout : du cinéma (beaucoup), de l'actu (un peu) et toute cette sorte de choses [A bit of everythying: cinema (a lot), news (a little) and all this kind of things]

Publié le par Djayesse
Publié dans : #Théâtre, #Société, #Artiflette
Les Copains d'en bas (Compagnie Artiflette, 2020)

Ils sont trois : Lakda, Casquette et Barbichette.

Ce sont ces voisins d’en bas, et pourtant, ce n’est pas vraiment là qu’ils habitent. Ils cohabitent.

Ils cohabitent avec Ben (Ignace Fabiani) et Charlotte (Claire Davienne) qui se sont installés depuis un an et demi dans une cité populaire, dans le cadre de la « mixité sociale ». Ben et Charlotte habitent tout en haut de la cage d’escaliers où évoluent ces trois voisins bien encombrants : ils se livrent à un trafic de haschisch et reçoivent leurs clients dans l’entrée, là où il y a plus de place.

Mais à l’arrivée de leur fille Léa se conjugue l’intensification du trafic amenant les interventions extérieures inévitables (police) : est-ce un environnement pour élever une fille ?

 

Magnifique. Brillant. Très juste.

 

C’est un spectacle formidable qui est proposé aux spectateurs. D’un point de vue esthétique d’une part, et de par son contenu d’autre part.

La mise en scène de Juan Antonio Martinez y Carrion est en parfaite adéquation avec le propos de la pièce. Le décor y est sobre, deux chaises, des plints et quelques accessoires rappelant un peu un intérieur mais qui servent tout de même dans les « scènes » extérieures. Bref, un décor aussi universel que le thème de la pièce : l’humain.

L’autre élément important dans la mise en scène est l’utilisation de la lumière qui rythme la succession des journées, jouant sur l’intensité du flot lumineux en fonction des circonstances plus que des moments de la journée. Et cet éclairage joue beaucoup avec des moments de silence, judicieusement aménagés pour permettre au spectateur d’intégrer pleinement ce qu’il vient de vivre à travers les deux interprètes.
Autre élément marquant de cette pièce-chronique : la place de la musique. Qu’elle soit réalisée en live par Charlotte/Claire ou utilisant des chansons enregistrées (rap), elle reste centrale au développement des différentes situations, empruntant, pour les parties au violoncelle des teintes exotiques qui ne sont pas sans rappeler certaines mélopées dites « orientales ». On peut toutefois objecter à la musique de prendre parfois un peu trop le pas sur le texte, empêchant alors la compréhension complète des paroles de Ben/Ignace (1).

 

Parce que le plus important, c’est ce qui est dit.

Les différents « petits » événements qui sont relatés – pour la plus grande partie – par Ben sont facilement identifiables mais surtout parlants pour les spectateurs, tant ce qu’il se passe peut être transposé partout ailleurs en France. Certes, en région parisienne il n’y a pas la mer – Wahid, le « grand cousin » aime aller regarder la mer, ça le détend – mais on y retrouve les mêmes gens avec les mêmes préoccupations et les mêmes problèmes.

Et la force du spectacle, c’est de ne pas occulter les différents aspects de la « mixité sociale » recherchée par le couple de narrateurs.

On ne tombe à aucun moment dans un quelconque misérabilisme mais pas non plus d’angélisme. Le fléau apporté par ces « voisins d’en bas » - le trafic de drogue – est une réalité incommode pour les habitants qui en deviennent alors les victimes collatérales : quelle attitude adopter ?

 

En effet, la position de Ben et Charlotte devient vite intolérable : alors qu’ils avaient choisi un « petit » immeuble (5 étages seulement) parce que le trafic, c’était dans les « grands » (15 ou plus), ils se retrouvent confrontés malgré tout à ce problème. Et si le trio infernal (Lakda-Casquette-Barbichette) est compréhensif, il n’en va pas toujours ainsi ailleurs. Et à l’instar de Ben et Charlotte, de nombreux habitants de ces cités déménagent, refusant de supporter la mainmise des dealers sur les cages d’escaliers et les halls d’entrée, menaçant les vrais habitants s’ils ne veulent pas s’en aller.

Et appeler la police n’est plus une solution : elle ne se déplace plus beaucoup, ou bien si elle le fait, les habitants se retrouvent avec une nouvelle menace née de la dénonciation. Et ça, c’est très difficile à vivre, même en essayant de discuter avec les principaux intéressés.

 

Et les pouvoirs publics dans tout cela ?

On assiste à un moment à la venue d’une élue dans ce quartier « mixte ». C’est normal, c’est une période d’élections (l’action se situe en 2014, année de Municipales) : sur un rythme soutenu, elle traverse la cité sans vraiment y faire attention, avec architectes et représentant du club de jeunes, suivie par une foule bigarrée plus ou moins conquise. La contestation exprimée par le rappeur Djamel est vite éteinte par un service d’ordre très présent (2).

Et ce cortège traverse le quartier comme une pluie d’été, rapidement évaporée, ne laissant aucune trace de son passage…

 

Pourtant, une (la ?) solution est bien là : la rencontre. Mais pas une rencontre éphémère, motivée par un enjeu électoral : il faut se rencontrer et se parler. Ouvrir au monde ce qui devient de plus en plus un ghetto que les pouvoirs publics abandonnent progressivement, laissant la place aux autres : la délinquance ou/et la religion.

Ne plus isoler ces ilots où cohabitent de très nombreuses personnes de plus en plus obligés de subir une situation intolérable et inacceptable.

Et en cette année électorale, la pièce de la compagnie Artiflette pose les vrais questions, donnant après le spectacle la possibilité aux spectateurs d’en discuter : avec ses voisins, mais aussi avec le public en entier, avant de poursuivre devant un verre, de manière plus informelle, mais pas obligatoirement moins importante.

 

Merci donc à vous trois, Claire, Ignace et Juan, pour ce spectacle subtil et intelligent. Merci de nous montrer que ce monde mixte est possible – même si je fais partie des convaincus – voire souhaitable.

Je continue à penser que c’est de la différence que naît la richesse et cette pièce en est une très belle illustration.

Je vous souhaite une grande tournée triomphale : elle serait amplement méritée !

 

  1. Ma voisine – malentendante – n’a pas tout entendu, ni donc compris, ce qu’il se disait.
  2. Toute ressemblance avec une quelconque situation actuelle…
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