St-Agil. Pensionnat de garçons.
A Saint-Agil, on trouve des élèves, bien sûr. On trouve aussi des professeurs : Planet l'insomniaque (Jacques Derives), Lemel l'alcoolique (Michel Simon) dit « Trois-Etoiles », Donnadieu le maître de musique (René Génin), Walter le professeur d'Anglais étrange et étranger (Erich von Stroheim) et Boisse, le directeur (Aimé Clariond).
Mais dans cet établissement, outre le surveillant d'internat (Martial Rèbe) et Mazeau le concierge (Armand Bernard), on trouve un drôle de personnage qui entre et sort à volonté, une espèce d'homme invisible (Robert Le Vigan)...
Et au milieu de tout ce beau monde : les Chiche-Capons. Un trio d'élèves mystérieux - Baume (Serge Grave), Sorgue (Jean Claudio), et Macroix (Mouloudji) qui ne rêvent que d'une chose : aller en Amérique.
Le premier qui disparaît, c'est Sorgue. Il tourne au coin d'un couloir, la caméra le suit et hop, il a disparu ! Après c'est Macroix, et après...
Le mauvais œil plane sur le pensionnat.
Les héros sont bel et bien les trois enfants, il n'empêche : ce sont les adultes qui retiennent l'attention. Il faut dire que la distribution est riche et les rencontres grandioses.
A tout seigneur, tout honneur : Erich von Stroheim. C'est avant tout un « étranger ». D'où vient-il ? Certainement d'un pays anglophone, au vu de son accent et de son élocution. Il semble qu'il ait une femme et un petit garçon. Mais c'est un homme seul : ses collègues ne lui parlent que très peu, voire pas du tout, on se méfie des étrangers à St-Agil. Il ferait même peur aux enfants. Pourtant, c'est le seul véritable pédagogue de cette institution, prenant même la défense des enfants contre certain professeur autoritaire et abusif.
Donnadieu et Lemel se méfient des étrangers. Nous sommes à la veille de la guerre (14-18 dans le film, 39-45 à sa sortie !), et les étrangers sont mal vus, la psychose des espions étant une habitude dans les temps troublés.
Mais, comme le dit le directeur : on n'a rien à lui reprocher.
Ce n'est pas le cas de Lemel. Michel Simon nous dresse un portrait haut en couleur de cet artiste raté, admirateur de Dürer et de la dive bouteille. Avec une moustache. On pourrait la comparer à celle d'un dictateur qui faisait fureur en 1938, mais si elle est peu soignée, petite et hirsute, trempant régulièrement dans un verre d'alcool, c'est d'abord la moustache d'un homme désespéré par son échec. Son allure lui importe peu. Alors entretenir cette moustache, non. Et il y a une recherche de dignité dans son allure couplée à un éthylisme prononcé qui touche au grandiose. Et en plus, il y a sa voix particulière : une véritable réussite ! Ses rencontres musclées avec Stroheim touchent à l'indigne avec superbe.
Le troisième professeur notable, c'est celui de musique. Donnadieu est le seul qui ne pense qu'à l'extérieur et à la guerre - inévitable selon lui - qui doit arriver. Chacune de ses interventions va dans ce sens. Alors évidemment, quand on bat le rappel en pleine nuit pour retrouver les enfants, sa réaction est prévisible (et attendue) : « Cette fois, ça y est ! C'est la guerre ! ».
Parmi les adultes, il est un autre trio qui s'apparente plus aux Pieds Nickelés qu'à autre chose : César (l'homme invisible !), Alexis (Albert Malbert) et Bernardin (Pierre Labry). Ce sont des bandits, mais de petit chemin. Seul César est un drôle de coco. Alexis et Bernardin sont deux pauvres bougres embarqués dans cette histoire plus (Alexis) ou moins (Bernardin) malgré eux.
Et puis il y a les dialogues. Du Prévert, même si ce n'est pas indiqué dans le générique. Et là encore, on n'est pas déçu :
« Bons ou mauvais, c'est toujours avec les étrangers que nous aurons la guerre » (Donnadieu)
« C'est pas marrant d'avoir quelqu'un qui lise derrière votre dos, surtout quand c'est quelqu'un qui sait pas lire ! » (Alexis)
« Il avait la tête des gens qui parlent beaucoup et... Font pas grand chose. » (César)