Londres, été 1914.
Calvero (Charles Chaplin) rentre chez lui, ivre.
Une odeur bizarre, une chambre calfeutrée : une tentative de suicide. Calvero intervient, il a sauvé la vie de Terry (Claire Bloom), la ballerine.
Et après ? Après, chacun remonte la pente, jusqu’au dénouement final, tragique, comme (presque) tous les film de Chaplin.
Il s’agit, à mon avis (mais je ne pense pas être le seul à le penser) du dernier grand film de Chaplin. Chaplin a passé son temps à faire rire ses semblables. Et cette fois, il les fait pleurer. On dit que c’est plus facile de faire pleurer que de faire rire. Chaplin, ici, arrive aussi à nous faire rire dans son film le plus triste. C’est la seule fois où son personnage meurt sur l’écran (dans Mr Verdoux, il meurt hors champ).
Ce personnage d’ailleurs – Calvero – est inspiré de son vagabond qui a fait son succès et sa renommée. Mais Calvero n’est pas le vagabond : le vagabond n’avait pas de métier, et était un personnage unique. Ici, nous avons deux Calvero : celui qui recueille la belle Terry, et celui qu’il joue sur scène. On serait tenté de comparer les deux Calvero avec Chaplin et son vagabond. Mais Chaplin, quand le film sort, n’a pas été oublié (au contraire, le FBI s’intéressait beaucoup à lui…).
Mais avec la mort de Calvero, c’est tout ce passé comique qui meurt. Ce « vagabond en lui », qu’il s’appelle Le Vagabond ou Calvero, c’est véritablement à sa fin que nous assistons. MLe film est truffé de références au passé muet de Chaplin. Même la danse qu’effectue Calvero dans son numéro Love est inspirée par celle des petits pains dans La Ruée vers l’or. Pas étonnant alors qu’il ait demandé à d’anciens partenaires d’apparaître dans ce que j’appellerai le testament du vagabond : Loyal Underwood, Snub Pollard, mais aussi Edna Purviance sont présents.
Et cerise sur le gâteau, la présence du grand Buster Keaton qui nous donne enfin l’occasion de voir deux des plus grands génies du cinéma burlesque américain. Et malgré le fait que le film est parlant, leur duo est muet. Seuls les bruits de pas et de pianos sont audibles. Keaton est égal à lui-même, imperturbable dans son masque sans sourire. Chaplin lui, se déplace et a ses déboires, pour notre plus grande joie. Cette séquence silencieuse détone complètement avec la frénésie qui s’ensuit, frénésie qu’on pourrait qualifier de diabolique du fait du rythme et du regard de Calvero. C’est le dernier baroud d’honneur de Calvero, mais aussi du vagabond, cette frénésie ne pouvant que mener à la mort.
La mort d’ailleurs, est très présente dans le film. Ca commence dès le début, quand Terry tente de mourir. Nous assistons alors à un beau moment de cinéma. La caméra s’approche d’une porte d’entrée. Puis, nous sommes entrés et la caméra s’avance vers la porte d’une chambre. Encore une fois, nous entrons et voyons une jeune femme allongée sur son lit, la caméra s’approche et nous montre un flacon dans sa main en main un flacon, puis elle se retourne et c’est le four ouvert d’une gazinière qui nous confirme ce que nous supposions : elle a bel et bien décidé d’en finir. Le tout dans un magnifique silence.
La deuxième mort, c’est celle du personnage de Terry dans le ballet, qui meurt sous le regard attristé de ses amis, dont Calvero joue un clown, jugé pas spécialement drôle. Mais comment l’être, dans un moment pareil ?
La troisième, comme on dit, est la bonne. Ce n’est ni une tentative de mourir, ni un personnage qui disparaît, c’est Calvero lui-même qui, à l’instar de Molière meurt quasiment sur scène en silence – bien entendu – alors que Terry s’en va danser vers le triomphe dans son numéro de danse.
Les Feux de la rampe, c’est aussi un film familial. En plus de la grande famille du cinéma muet déjà évoquée ci-dessus, on retrouve de vrais membres de sa famille : Sydney Chaplin (son fils) qui interprète Neville, le jeune compositeur, mais aussi Oona, sa femme, qui double Claire Bloom, ainsi que Géraldine, Michael et Josephine au début, dans la rue, qui écoutent l’orgue de barbarie. Et il y a même son demi-frère, Wheeler Dryden.
Les Feux de la rampe est le dernier film américain de Chaplin, Maccarthysme oblige, d’où cette analogie avec le testament du vagabond : en quittant les Etats-Unis, il laisse derrière lui le vagabond, définitivement.