C'est un homme mûr et réfléchi qui entre chez Clare Quilty (Peter Sellers). Il n'est venu que pour une seule chose : le tuer. Et il le fait. Froidement.
En tuant Quilty, il met un terme à une histoire qui a commencé quatre ans plus tôt, quand, professeur en vacances, Humbert Humbert (James Mason) a débarqué chez Mrs Haze (Shelley Winters), à la recherche d'une chambre pour passer l'été. Mais il y a peu de chance qu'il s'installe chez cette bavarde, jusqu'au moment où il découvre le jardin, et surtout Lolita (Sue Lyon), qui prend le soleil en bikini.
Comme le veut la formule : à ce moment, la vie de Humbert bascule...
Kubrick adapte Nabokov. Et comme toujours dans ce cas-là, non seulement, il adapte, mais en plus, il s'approprie. Lolita est devenue indissociable du maître, tout comme Lolita est indissociable de Sue Lyon. C'est même devenu un nom commun pour désigner une jeune fille aguicheuse.
Mais Lolita, c'est plus que ça.
Lolita, c'est avant tout une relation qu'on pourrait qualifier de « contre nature » : un homme d'âge mûr s'éprend d'une toute jeune fille. Quel scandale ! En 1955 quand Nabokov le fait publier, puis quand le film sort, en 1962. Même si dans le film, elle est plus âgée, la relation de Lolita et Humbert est sulfureuse. Sulfureuse, et surtout destructrice.
Un à un, l'entourage de Lolita va sombrer, voire disparaître. Sa mère d'abord, qu'Humbert a épousé pour rester en contact avec la jeune fille. C'est la marque du destin, ce qui va permettre de réaliser physiquement cette relation. Mais aussi ce qui va amener cette errance.
Car ce film est la description d'une errance. D'une errance morale tout d'abord. Humbert sait que sa relation avec Lolita est coupable et interdite. Mais son esprit élude ces objections morales pour jouir pleinement de la situation.
Rapidement, cette errance devient physique : ils doivent sans cesse bouger, aller d'hôtel en meublé afin de se cacher et se protéger.
D'une certaine façon, nous assistons à une espèce de road movie sans but, mais dont nous savons - depuis la séquence d'ouverture - que l'issue sera fatale. Ce qui est aussi un juste retour moral des choses, la relation Humbert-Lolita ne pouvant (devant ?) pas être une réussite.
Et puis, il y a Quilty. Il pourrait être la personnification du scrupule, d'une certaine façon. C'est lui qui à chaque fois amène la crise dans le couple, les empêche d('être complètement heureuxs. Mais ce n'est pas dans un but moral. Loin de là. Quilty, même s'il est plus jeune qu'Humbert, n'est pas mieux : lui aussi convoite Lolita.
Pour arriver à ce magnifique résultat, Kubrick a à sa disposition deux acteurs phénoménaux : James Mason et Peter Sellers.
James Mason est formidable de justesse dans cette histoire d'amour impossible car interdit. C'est un rôle très difficile, voire dangereux qu'il interprète : le public n'étant pas toujours très fin, ayant parfois tendance à confondre un acteur avec son personnage.
Peter Sellers a un rôle plus complexe. De second plan, certes, mais primordial. Il nous montre déjà qu'il est à l'aise dans les rôles de composition : il use et abuse des déguisements et des accents avec beaucoup de talent. Pas étonnant que Kubrick fasse à nouveau appel à lui dans son film suivant où il jouera quatre rôles distincts !
Et puis il y a Sue Lyon. C'est le rôle de sa vie. Elle aura un rôle un peu similaire dans La Nuit de l'iguane, deux ans plus tard. On dit que ce rôle lui a gâché sa vie. C'est possible. Il n'empêche qu'elle reste une Lolita superbe. Tour à tour jeune fille aspirant à grandir, puis petite fille capricieuse qui mène Humbert par le bout du nez. Son regard possède aussi ses mêmes caractéristiques. Elle est capable de passer d'un regard de femme à celui de petite fille avec brio.
Et Kubrick, formidable démiurge, contrôle tout ce petit monde. Vu le sujet sulfureux, il réussit à filmer de belles scènes d'amour sans baiser, sans geste déplacé. Mais on sent tout de même l'intensité de la relation.
Du grand art. Tout simplement.