Une femme, richement vêtue, descend solennellement dans l’arène aux lions, sous les yeux d’un roi babylonien désespéré.
La femme est allongée, une patte de lion sur son dos. Le lion rugit.
Telle est l’image la plus célèbre du film mais finalement assez éloignée de la réalité de l’intrigue. Cette incursion antique dans une histoire moderne (1918-19) est pleine de flamboyance mais avant tout un rêve que deux êtres humains amoureux font.
Elle, c’est Mary Loam (Gloria Swanson, toujours aussi irrésistible), fille de Lord Loam (Theodore Roberts, son éternel cigare vissé aux bords des lèvres) ; lui c’est Bill Crichton (Thomas Meighan), son majordome.
Nous sommes à Londres où les convenances sont exacerbées et où chacun sait rester à sa place.
Crichton est aux ordres du grand monde, même s’il se rend bien compte qu’il suffirait de peu pour que les rôles s’inversent.
Et justement, une croisière dans les mers du Sud va amener ce bouleversement, quand le bateau fait naufrage parce qu’un timonier ferait mieux de regarder où il va plutôt que les jeunes femmes malheureuses…
Le titre français, pour une fois est le plus fidèle à l’histoire que nous raconte Cecil B. DeMille, qui fait adapter par la grande Jeanie Macpherson The admirable Crichton de J.M. Barrie (vous savez bien, celui qui a écrit Les Aventures de Peter Pan…). Le film s’intitule Male and Female, ce qui est aussi une bonne illustration de l’intrigue.
Mais si la première partie du film nous montre une famille aristocratique anglaise avec ses caprices (surtout féminins, et là Gloria Swanson est plus vraie que nature), le meilleur moment du film est bien la situation après le naufrage, où ces riches oisifs, livrés à eux-mêmes, sont incapable d’organiser quoi que ce soit, ni de se procurer quelque nourriture.
Mais Crichton est là : être majordome est un métier difficile qui demande beaucoup de savoir-faire et de dextérité, ainsi que de diplomatie. Alors quand ses maîtres sont désemparés, c’est lui qui prend les choses en main et permet à tous de survivre un peu plus de deux ans sur cette île déserte mais tout de même bien fournie en ressources de première nécessité.
Et cette habileté permet en outre à Crichton d’inverser les rôles, dirigeant, bon gré (après) malgré (avant) toute cette bande d’empotés orgueilleux, Mary en tête, cela va de soi.
Mais avec cette histoire, c’est le rôle de chacun dans la société qui nous est montré. Un rôle arbitraire en contradiction avec la vraie nature de chacun. Et DeMille nous montre que la nature remet en place les choses, et que chacun trouve sa véritable place. Et pour que ce soit drôle, il faut que les rôles s’inversent.
Mais Crichton, qui jouit du meilleur rôle, despotique à souhait, est tout de même la première victime de cet échange temporaire. Chacun sait, chacun espère que l’aventure se finira un jour et que tout redeviendra comme avant.
En attendant, les différences s’étant atténués, les sens s’éveillent et l’inévitable arrive : Crichton, le seul mâle débrouillard devient la coqueluche des femelles*, jusqu’à développer une passion avec la belle Mary, passion qui amènera ce rêve célèbre.
DeMille est complètement dans son élément avec cette histoire. Il nous montre une famille aristo de l’intérieur, passant, comme de bien entendu dans la salle de bain où Gloria Swanson se baigne. Mais ne nous excitons pas, à chaque fois un subterfuge est utilisé pour cacher les parties intimes du corps de la belle Gloria.
Quant à la scène antique, elle annonce celles qui suivront : on y retrouve le faste et le grandiose indispensables (pour DeMille) ainsi qu’une dose de s&sadisme avec cette esclave livrée aux lions sous le regard tout de même fasciné du roi babylonien**.
* d’où le titre original
** Inutile de dire que Gloria Swanson n’a que peu apprécié de tourner avec un véritable lion.
Cf Hollywood, the Pionneers – Episode 6, Kevin Brownlow & David Gill, 1979