« Ne marchez pas sur cette araignée, c’est peut-être Lon Chaney ! »
Cette plaisanterie, qui circulait dans et hors les studios d’Hollywood, est à elle seule un véritable hommage à celui dont on a dit qu’il possédait mille visages : Leonidas Frank Chaney (1883-1930). Parce qu’au-delà de la moquerie qui amène le sourire, il y a la reconnaissance unanime de son don de transformation qui fit sa renommée de son vivant et depuis, avec un sursaut en 1957, l’année où est donc sorti ce film.
Tout commence à Colorado Springs, comté d’El Paso (Co.), où le jeune Chaney (Jerry Hatleben) rentre de l’école après s’être battu : il est dénigré parce que ses parents sont sourds-muets. Mais ce double handicap, s’ils ne lui gagne pas la sympathie de ses camarades effrayés par la « différence », va lui permettre de gagner sa vie : nous le retrouvons au music-hall, où il se produit dans un numéro de pantomime à succès. Il a épousé Cleva Creighton (Dorothy Malone, belle et toujours terrible), et ensemble, ils attendent un heureux événement. Mais cet événement est troublé par une rencontre : celle des parents de Lon. L’enfant sera-t-il normal ?
Oui. Mais le couple se défait et divorce. Chaney s’exile à Los Angeles et intègre le studio Universal, afin de se faire une situation et avoir la garde de son fils qui a été placé.
C’est alors qu’il commence à se maquiller, afin de pouvoir plus facilement décrocher des rôles.
J’oubliais : c’est James Cagney qui l’interprète.
Si de nombreux éléments de cette biographie cinématographique sont avérés – le handicap de ses parents, son mariage avec Cleva – n’oublions pas qu’il s’agit avant tout d’un film, et que le scénario prend beaucoup de libertés avec la réalité de ce que fut la vie de cet extraordinaire acteur, on ne peut pas en vouloir à Joseph Pevney, ni même aux scénariste : au cinéma, tout est possible !
Et de toute façon, il s’agit avant tout de rendre hommage au père du maquillage cinématographique, alors la vérité historique pèse beaucoup moins que le travail qu’il a pu effectuer afin de se hisser tout en haut de l’affiche.
Et pour ce faire, Pevney n’hésite pas à recréer certaines séquences qui ont fait le mythe Chaney : le pilori dans Notre-Dame de Paris (1923) ou la révélation du Fantôme de l’Opéra (1925) en ce qui concerne le maquillage ; l’arrivée de Frog dans Le Miracle (1919), film qui va vraiment le lancer dans ses rôles de personnages « différents » (handicapés, quoi).
Et James Cagney, bien que ne ressemblant pas du tout à son modèle, nous livre ici une magnifique performance, en tant que Chaney ou ses (rares) personnages. Bien sûr, il ne pourra jamais avoir le visage méchant de Lon (1), mais on y retrouve la même détermination à exprimer le mal, dans les moments durs de sa vie (de cinéma)
Et ça fonctionne de bout en bout, pour notre plus grand plaisir. Et tant pis pour la vérité. Revivre cet âge d’or du cinéma est plus précieux, surtout qu’on peut y retrouver – fugacement –quelques têtes connues, à défaut des vrais interprètes, pour beaucoup déjà disparus : Snub Pollard, Hank Mann, John George…
Bien sûr, Cagney ne porte pas les mêmes maquillages que Chaney, et c’est surtout visible pour le Fantôme : tant mieux parce que c’était une véritable torture puisqu’il n’était pas question d’un masque comme c’est le cas ici. Alors oui, l’effet n’est peut-être pas aussi saisissant, mais pris dans son contexte, cela reste tout de même une très belle re-création.
Par contre, on a du mal à croire à une séquence : alors qu’on a vu que Chaney avait enchaîné quelques rôles emblématiques de sa carrière dont Tito dans Ris donc, Paillasse !, sorti en avril 1928 Irving Thalberg (Robert Evans) vient le voir et lui annonce qu’il vient de voir Le Chanteur de Jazz, et qu’ils vont tourner une version parlante du Club des trois.
On ne peut qu’avoir du mal imaginer que Thalberg ait attendu si longtemps pour voir le film de Crosland sorti en octobre 1927 !
Et comme en plus, on enchaîne sur le tournage de ce remake – dernier film de Lon – le décalage temporel n’en paraît que plus incroyable, ou tout du moins fort peu crédible
Quoi qu’il en soit, on ne peut que se réjouir de cet hommage brillant à cet immense acteur. En espérant que d’autres le (re)verront et auront envie d’aller voir tous ces films impressionnants qui ont émaillé sa trop courte carrière : avec la décennie qui allait commencer conjuguée à la consécration du parlant, il n’aurait pas crevé l’écran, il l’aurait explosé !
- Je n’ai jamais vu un autre acteur avec un visage aussi mauvais.