Fern (Frances McDormand) n’a plus d’emploi depuis que l’usine d’Empire (Nevada) a fermé. Il n’en reste plus rien, que des vestiges d’une activité.
Et Fern, qui a en plus perdu son mari, a pris un van et a décidé de prendre la route, se déplaçant avec le travail saisonnier, du Nebraska au Dakota du Sud, en Arizona et jusqu’en Californie. Elle rencontre des gens, des anonymes qui comme elle ont décidé de tout abandonner et de prendre la route, au hasard, à la recherche d’une éventuelle liberté, ou d’une vérité personnelle. A moins que ce soit une rédemption…
Et non, pas de rédemption ici. Il n’y a pas de place. Mais des quêtes intérieures, en extérieur, ce n’est pas ce qui manque dans ce superbe film de Chloé Zhao (son troisième) qui fut fort justement récompensé un peu partout dans le monde : c’est beau, tout simplement. Nous sommes au croisement entre le documentaire et la fiction, mais sans rien de sensationnel ni aucune démonstration. C’est un road-movie basique où finalement la route n’est pas beaucoup empruntée : ce sont les rencontres à chaque étape qui sont le cœur de l’intrigue (minimaliste). Et ce qui donne l’authenticité indispensable à ce genre de film, c’est la présence de protagonistes dans leurs propres rôles : ce sont tous des nomades américains dont le van est leur foyer. Et Frances McDormand s’intègre magnifiquement dans cette communauté singulière, loin des attaches familiales qu’elle retrouve tout de même de temps en temps, comme une pause – inévitable dans le cas présent – à travers cette vie sans cesse en mouvement.
Et c’est un incroyable plaisir de voir évoluer Fern dans cette immensité de paysages tous plus extraordinaires les uns que les autres, et quand le film se termine, on n’a plus qu’une envie : suivre ses traces dans cette immensité : aller admirer les montagnes du Nevada ou/et les pierres de tous ces endroits. Les pierres sont au cœur des pérégrinations de Fern : chaque endroit lui en apporte de nouvelles, avec à chaque fois des caractéristiques uniques au lieu.
Et ces pierres, c’est aussi la seule richesse de ces nomades qui vivent en marge de la société : ils en font partie, mais ne participent pas pleinement à la vie des villes qu’ils traversent. LE temps d’une saison puis ils repartent. Mais ce ne sont pas des asociaux pour autant : le discours – authentique lui aussi – de Bob Wells le confirme. De même, chacun d’eux a un téléphone portable et reste connecté au monde, à travers les réseaux sociaux par exemple.
C’est un film qui prend son temps et qui décrit une certaine forme de vie, choisie et assumée par chacun d’entre eux, avec ses avantages – liberté, paysages grandioses (etc.) – mais aussi ses inconvénients – ennuis mécaniques, besoins naturels (etc.) – avec ceux qui s’en vont comme Dave (David Strathairn) ou Swankie (Charlene Swankie) et ceux qui y viennent comme le jeune homme que Fern va croiser deux fois : une forme d’équilibre donc où celle qui s’en va définitivement (Swankie) est remplacée de toute façon.
Une petite précision toutefois, ces nomades ne sont pas ce qu’on appelle par ici des « Gens du Voyage » : leur décision de migrer indéfiniment s’est imposée à un moment de leur vie où un changement était devenu nécessaire. Et on ne ressent pas dans toute cette odyssée quelque inimitié que ce soit : la violence, verbale ou physique, est d’ailleurs absolument absente dans ce milieu, ce qui n’est pas le cas dès qu’on parle des Gens du Voyage qui, eux, sont rarement appréciés des sédentaires, avec tous les préjugés qui vont avec.
Bref, c’est un road-movie particulier où la route n’est pas le milieu privilégié : c’est dans chaque étape – collective ou solitaire – que se révèle la richesse des différents protagonistes : tout ce qu’ils voient est à eux, et pas besoin de l’emmener chez soi pour le arder puisqu’on en profite à chaque instant.
Et puisque c’est un road-movie, on devrait assister à une forme de métamorphose de notre personnage principal : elle est là, mais elle est comme le film lui-même. Ni démonstrative, ni sensationnelle, mais malgré tout spectaculaire. Et comme Fern repart vers d’autres lieux à la toute fin, il faut se dire que cette transformation n’est pas terminée. Le sera-t-elle un jour ?
Qu’importe.