Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Hitchcock :
D’habitude, dans les films noirs, on donne rendez-vous la nuit (sans lune si possible), sous la pluie. Alors, une voiture noire passe et on entend une mitraillette qui fauche tout le monde.
Mais là, pas de nuit, c’est en plein après-midi, ensoleillé. Pas un nuage. Une première voiture noire passe, mais ne s’arrête pas, malgré les attentes du héros. Une seconde voiture apparaît, comme surgie de nulle part. Noire, aussi. Un homme descend.
Manque de pot (pour notre héros qui lui parle), il est venu attendre le bus. D’ailleurs, le bus l’emmène. Toutefois, il a eu le temps de remarquer que l’avion qui désherbe les récoltes intervient là où il n’y en a pas…
Alors notre héros se retrouve seul, et bing ! C’est le moment que l’avion a choisi pour lui foncer dessus, avec mitrailleuse à l’appui !
Notre héros, répondant à son instinct, se réfugie dans les cultures, à l’abri.
N’oubliez pas que c’est un avion qui désherbe. Alors évidemment, il passe au-dessus et lâche son désherbant, faisant sortir notre héros…
Et ensuite ? Ensuite, l’avion s’écrase et la musique reprend. Toute cette scène, mis à part l’échange avec l’usager du bus fut muette, voire silencieuse.
Du grand art.
Nous sommes ici dans l’un des sommets d’Hitchcock. Depuis son arrivée aux Etats-Unis, il ne cesse de monter en puissance. Le film précédent, c’était Sueurs froides, son dernier film avec James Stewart. Cette fois-ci, il dit adieu à Cary Grant en lui offrant l’un de ses rôles emblématiques : Roger Thornhill/George Kaplan. Le film suivant ? Rien de moins que l’incomparable Psychose.
Nous sommes, là encore dans un film de confusion d’identité. Après Le faux Coupable, où Henry Fonda était pris pour un autre, Sueurs froides où Kim Novak se faisait passer pour une autre, nous avons Cary Grant qui est pris pour celui qu’il n’est pas, mais cette fois-ci pour un malheureux concours de circonstance : on appelle M. Kaplan au moment où Thornhill cherche un téléphone… La méprise peut s’expliquer, et le génie de Hitchcock fait le reste.
Tout l’accuse, même la femme qu’il aime (et qui l’aime).
A propos d’aimer, Hitchcock est arrivé à un cap. Alors que ces personnages précédents s’embrassaient à bouche-que-veux-tu (Les Enchaînés), ici, les références sexuelles sont claires. Il n’est jamais question d’amour platonique. Eva (Marie Saint) couche avec VanDamme et a couché avec Thornhill.
Qu’importe, la société américaine est en train de changer, et Hitchcock évolue avec elle.
Il suffit de voir son film suivant pour s’en convaincre : Psychose et la scène extraordinaire de la douche (voir critique ultérieure).
Mais il faudra attendre encore cinq films avant que cet ancien élève des jésuites franchisse le pas et filme une vraie femme nue dans Frenzy.
Pour le reste, nous trouvons un casting qu’on qualifierait « de luxe » avec pas moins que James Mason et Martin Landau dans les rôles des méchants. Et en guest star, les quatre présidents américains du Mont Rushmore.
Que du beau monde !
Et pour ceux qui ne croiraient pas à mes élucubrations sexuelles autour du film, je pose la question :
Pourquoi, une fois que cette nouvelle Mme Thornhill a réussi à grimper sur le lit, le train entre-t-il dans le tunnel ? Hein ?