Une gare, dans l'Ouest.
Un cowboy entre. Il est noir (Woody Strode).
Un autre. Il a le regard torve (Jack Elam).
Ils attendent.
Pendant ce temps, le générique se met en place (plus de dix minutes !).
Et quand le générique est fini (« réalisé par Sergio Leone »), comme par magie, le train s'arrête.
Non.
Rien de magique : du cinéma. Du vrai.
Sergio Leone commence sa trilogie américaine à Flagstone, une ville champignon chère au western américain, en bordure de Monument Valley. Pourquoi Monument Valley ? A cause du grand John Ford, évidemment. L'autre clin d'œil au maître, c'est bien entendu la construction du chemin de fer, toujours en mouvement, théâtre d'un de ses premiers chefs-d'œuvre : The iron Horse (1924).
Après la Trilogie de l'homme sans nom, Leone passe à la vitesse supérieure. Là encore, peu de dialogues, beaucoup de plans fixes, voire de gros plans très rapprochés. Et une intrigue constituée de plusieurs histoires mettant en scène quatre grand personnages :
- Jill MacBain (Claudia Cardinale), ancienne prostituée de New Orleans, qui s'est mariée avec un Irlandais, tué le jour (officiel) de leurs noces. Elle est belle, elle est déterminée, elle est le centre de l'action.
- Frank (Henry Fonda), le méchant, estampillé comme tel. Et il n'en est pas à son coup d'essai. Homme de main de Morton (Gabriele Ferzetti), un riche invalide.
- Cheyenne (Jason Robards), bandit notoire, à la tête d'une bande de truands aux cache-poussières caractéristiques.
- L'Harmonica (Charles Bronson), qui sait jouer, qui sait aussi tirer, mais surtout « qui joue quand il devrait parler, et parle quand il devrait jouer. »
Rien que dans les appellations, il y a une gradation : Jill a un état-civil complet, alors que Frank n'est qu'un prénom. Cheyenne est un alias ; quant à l'Harmonica, il n'a aucun nom, juste un sobriquet dû à la pratique de cet instrument.
Mais les noms ne sont pas importants. Ce qui prime, chez Leone, ce sont les regards : le regard noir de Jill, après toutes ses épreuves ; le regard cruel de Frank ; le regard triste de l'Harmonica ; et le regard mutin de Cheyenne. On retrouve les éléments du duel final de Le Bon , la brute et le truand, mais quand l'objectif se rapproche su regard de L'Harmonica, c'est pour raviver des souvenirs. D'ailleurs, le duel final est réglé beaucoup plus succinctement. Le propos n'étant pas le résultat du duel, mais les enjeux plus ou moins cachés de ce duel.
Pour une fois, le personnage principal est une femme. Tout tourne autour de Jill. C'est son mari qu'on assassine, c'est elle que Frank et ses hommes (et Morton) veulent éliminer. C'est elle que Cheyenne et l'Harmonica vont aider à leur manière. rapidement, c'est elle qui va amener les péripéties. Ce n'est pas une femme faible. Son passé l'a endurcie, et elle ne se laisse pas faire. Chose étonnante, elle se retrouve dans le lit de Frank, le seul qui ne souhaite pas l'aider. Mais quand l'intérêt commande...
L'autre personnage principal - un tout petit cran en-dessous - c'est l'Harmonica. Comme Clint Eastwood dans la trilogie précédente, il n'a pas de nom. Juste un surnom. Lui aussi parle très peu. Il n'est pas là par hasard. Il est venu rencontrer Frank. Pourquoi ? On ne l'apprend que très tard. Mais à chaque confrontation entre ces deux hommes, des bribes de souvenir reviennent à sa mémoire. Une silhouette flou(té)e d'un homme qui s'approche. Plus nous avançons dans le film et plus la silhouette se précise.
C'est lui qui est - comme toujours dans cette trilogie - poursuivi par ses fantômes du temps jadis. L'Harmonica est à la recherche de son passé - à la recherche du temps perdu... - et cette recherche l'amène à Flagstone, là où tout le monde va se rencontrer : le fameux Cercle rouge de Jean-Pierre Melville.
Un autre aspect étonnant de ce film, c'est le choix de Henry Fonda pour jouer Frank. Nous avions eu l'habitude de voir Fonda jouer les héros au grand cœur, et tout d'un coup, il se retrouve dans la peau d'un salaud fini. Et son regard bleu si célèbre devient un regard froid de tueur, voire cruel. Et ce contre-emploi de brute vieillissante est une véritable réussite. Il est impossible de voir quelqu'un d'autre jouer Frank.
Quant à Jason Robards, dans ce rôle ambigu de Cheyenne, il nous propose une magnifique prestation d'un homme à double personnalité : d'un côté un bandit terrible, tuant sans hésitation ses geôliers pour s'évader, et d'une certaine façon tous ceux qui se mettent en travers de sa route ; de l'autre, il est une aide très précieuse pour Jill, seule après son deuil. Une autre réussite.
Et comme dans L'Homme qui tua Liberty Valance, le dernier western de John Ford, la Civilisation prend le dessus sur ces hommes en voie de disparition. Après Flagstone, c'est Sweetwater qui verra le jour, sous l'impulsion de Jill. Les hommes comme Frank, Cheyenne ou l'Harmonica sont appelés à disparaître, et certains plus vite que d'autres.
PS : les bandits ne sont pas (tous) habillés de noir. Ils portent de grands manteaux de type cache-poussière, ce qui rend plus difficile de voir le côté manichéen habituel aux westerns. Ces manteaux seront repris par Eastwood dans Pale Rider, quand le (méchant) marshall Stockburn débarquera avec ses adjoints, aussi détestables que lui.