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Le Monde de Djayesse

Le Monde de Djayesse

Un peu de tout : du cinéma (beaucoup), de l'actu (un peu) et toute cette sorte de choses [A bit of everythying: cinema (a lot), news (a little) and all this kind of things]

Publié le par Djayesse
Publié dans : #Cinéma, #Guerre, #Stanley Kubrick
Les Sentiers de la gloire (Paths of Glory - Stanley Kubrick, 1957)

Depuis le temps que je vous mentionne ce film, je me suis dit qu’il était temps que je l’abordasse. De plus, la proximité ders célébrations de l’Armistice 1918 lui rend, comme chaque année, son actualité éternelle : la guerre, sous quelque forme qu’elle se présente reste une absurdité et un mal inutile pour les humains.

 

Kubrick sort à peine de son film de gangsters aux points de vue multiples quand il s’attaque pour la première fois au film de guerre. Et pour une première fois, c’est magistralement réussi !

Alors que ne se préparent même pas les superproductions sur la Deuxième Guerre mondiale, Kubrick revient sur la Première, en y introduisant un élément essentiel et régulièrement écarté dans les autres productions du genre : le rôle des membres de l’Etat-major, et en particulier ici l’obstination criminelle d’un général vexé d’avoir surestimé ses troupes et surtout celles de l’ennemi.

 

Ce général, c’est Mireau (George Macready), encouragé par un autre haut gradé – Broulard (Adolphe Menjou, toujours aussi magnifiquement fourbe quand nécessaire) – qui ira même jusqu’à ordonner de tirer sur ses troupes qui ne sont pas allées à l’assaut du fait des tirs de barrage ennemis.

Mais malgré cette obstination insensée, nous assisterons tout de même à l’exécution de trois hommes « pour l’exemple », et ce malgré la défense de leur officier supérieur, le colonel Dax (Kirk Douglas).

Cette exécution militaire étant d’ailleurs l’une des plus inhumaines montrée dans un film de guerre : le soldat Pierre Arnaud (Joe Turkel, un habitué des films du maître) est attaché à un brancard déposé contre le poteau d’exécution, le sergent (Bert Freed) lui pince la joue pour qu’il soit conscient pendant son exécution.

Et le pire dans tout cela, c’est que ces scènes ont réellement eu lieu, dans des circonstances assez similaires…

 

Bien sûr, et n’importe quel critique l’a dit avant moi, les différents membres de l’état-major français, déjà bien embêtés par les « événements » d’Algérie n’ont pas vu d’un bon œil ce qui ressemble prou à un brûlot antimilitariste, et il fut même décidé de ne pas exploiter le film de fait de cette actualité un tantinet chaude pour nos têtes galonnées.

Il faudra d’ailleurs attendre près de vingt ans (18 pour être précis) avant que les spectateurs français puissent jouir du spectacle lamentable de ces vieilles badernes susceptibles.

Quant à son premier passage à la télévision (française), il faudra encore attendre 1988 : mon vieil ami le professeur Allen John et moi-même eûmes le plaisir de l’y découvrir en cette occasion.

 

Evidemment, l’armée française en prend pour son grade, les deux généraux de l’intrigue étant des archétypes fort peu glorifiant, mais surtout la séquence d’introduction à l’assaut qui va suivre – Broulard vient flatter l’égo de Mireau (1) certes, mais il ne faudrait pas non plus oublier que c’est ce même Broulard qui lui force la main – une nouvelle étoile à la clef - dans cette entreprise que de prime abord Mireau refuse !

Mais si le film se concentre sur l’armée française, je pense qu’on peut tout aussi bien mettre le reste des autres armées humaines où de tels énergumènes existent à différents niveaux.

Il suffit de voir ce qui a pu se passer auparavant ; mais aussi les conflits à venir dans lesquels les Etats-Unis auront une part très importante. Un exemple au hasard ? Le Vietnam (vraiment au hasard…).

 

Mais si l’intrigue dénonce les errements militaires de ces deux vieilles ganaches, elle n’en demeure pas moins admirablement filmée. C’est un festival de caméra vivante (manœuvrée par Georg Krause), digne du grand Karl Freund, où les travellings s’enchaînent avec maestria, et le montage dynamique d’Eva Kroll alternant champs et contrechamps donne à la séquence de préparation de l’assaut, avec Dax/Douglas qui sillonne les tranchées pour gagner sa position de tête, une tension qui ne se relâchera à peine quand l’attaque va s’exécuter.

S’ensuit alors une charge terrible pour laquelle je paraphraserai La Butte rouge de Montéhus (1872-1952) : « […] tous ceux qui montèrent tombèrent dans le ravin […] ». C’est un carnage, l’un des plus spectaculaires du cinéma (2) avec le premier quart d’heure de Save Private Ryan.


Et puis il y a la fin : dans une auberge où les soldats se délassent avant de retourner se faire tuer, le maître de céans présente une « prise allemande » (Christiane Harlan qui s’appellera bientôt Kubrick) qui chante pour les soldats (3) dans sa langue, ne connaissant aucune autre langue.

Il y a une montée en puissance pendant cette chanson qui se fait alors que la salle, dans le même temps perd de son intensité sonore jusqu’à murmurer cette même chanson, d’une manière indistincte, la caméra s’attardant sur les visages de ses soldats, tous des morts en sursis. Et le spectateur sent l’émotion monter et voit ces rudes gaillards gagnés par l’émotion, versant quelques larmes, la chanson de soldat qu’elle interprète étant d’une certaine façon universelle : l’histoire d’un soldat qui apprend que sa fiancée se meurt pendant qu’il est à la guerre.

Les soldats rejoignant alors la jeune femme, partageant cet instant à l’abri des bombes et autres balles meurtrières. Cette communion ultime achève de montrer l’absurdité de la guerre : à part être une femme et parler une langue étrangère, elle n’est pas bien différente de ses spectateurs ; il ne suffit pas de grand-chose pour que tout le monde s’accorde.

 

Quand enfin Dax demande au sergent de laisser encore quelques instants à ses hommes qui doivent partir au front, il leur offre un dernier instant loin des combats, le tant d’un air. Mais ce sursis n’est-il que pour ses hommes ? (4)

 

  1. Doit-on voir dans le patronyme de ce répugnant personnage une homophonie pertinente mireau/miro ? En effet, on assiste réellement à un aveuglement aigu de sa part à propos du fiasco militaire annoncé…
  2. Cet avis n’engage que moi.
  3. Der treue Husar (le Hussard fidèle), traditionnel allemand (v. 1825).
  4. Vous pouvez relier cette question à la dernière entrevue qu’il a avec Broulard/Menjou.
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